Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/608

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du ciel, de la disposition des mers, des plaines et des montagnes, des splendeurs du soleil et de la température, où les monumens des plus anciennes civilisations, ruines de mosquées, châteaux, palais, cathédrales, ont conservé, pour ainsi dire, une physionomie originale qu’il serait inutile de chercher en toute autre contrée de l’Europe, si poétique d’ailleurs qu’on l’imagine. En vain, depuis le XVIe siècle, une politique aventureuse jusqu’à la folie ou débile jusqu’à la lâcheté s’est efforcée de comprimer ce glorieux essor des romanciers et des poètes, qui, par les Pedro Lopez de Ayala, par les Villena, était si vigoureux déjà sous Ferdinand et Isabelle-la-Catholique, à un moment où les autres peuples bégayaient encore leur langue nouvelle : ni l’intolérance religieuse, ni les excès du pouvoir absolu, ni la misère qui, en Espagne et partout ailleurs au moyen-âge, a été le partage fatal des génies les mieux doués, ni la faiblesse des rois et la corruption de leurs favoris, ni les démembremens de la monarchie et la perte des batailles, ne parvinrent à déconcerter l’imagination et à tarir les sources de l’enthousiasme. De toutes parts sur la Péninsule se repliaient, repoussées et humiliées, les bandes espagnoles ; jamais du moins le découragement des ministres et des vieux capitaines ne se communiqua aux poètes ; déjà, vers le milieu du XVIe siècle, ils s’écriaient avec amertume : « Ce Dieu des chrétiens, pour qui nous avons combattu huit cents ans semble avoir, pour toujours, abandonné les Espagnes ! » L’instant d’après, ils reprenaient courage, car, pour les consoler, Dieu leur avait laissé leur verve féconde, leur voix harmonieuse et puissante, les charmans caprices du cœur et les nobles élans de l’esprit. Aux théâtres populaires qui, du soir au lendemain, s’improvisaient dans Madrid, Barcelone ou Valence, sur les places et à l’entrée même des carrefours, les villes entières accouraient, s’émerveillant à ces histoires si belles et si longues de gloire et d’amour, où revivait l’ancienne Espagne ; il n’en fallait pas davantage, pour oublier les désastres des Flandres ou du Portugal. C’est aux seules époques de ruine et de décadence que les nations peuvent enfin bien comprendre leurs prospérités évanouies, et les chanter dignement ; il importe que le regret s’empare du cœur humain et le remue à son aise pour y susciter les éloquens et poétiques souvenirs.

À l’avènement de Philippe V, les idées françaises ont pris possession de la Péninsule ; personne aujourd’hui ne conteste que par ces idées l’Espagne ne doive, dès ce moment, se régénérer tout entière ; c’est assez qu’au-delà des monts les meilleurs esprits s’empressent de le reconnaître, pour qu’à notre tour nous devions franchement convenir