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el Hechizado doit être avant tout jugé, mais sous le rapport moral et politique ; le drame serait de tout point une œuvre littéraire, excellente, que M. Gil y Zarate devrait encore se le reprocher comme une mauvaise action. Nous avons, en 1838, assisté à une représentation de Don Carlos : parmi les clameurs qui, dans les hautes galeries, s’élevaient au moment où Florencio maudit tous les moines dans la personne de Froïlan, au moment où ce dernier tombe sous le poignard du jeune page, on pouvait, dit-on, parfois reconnaître la voix des septembriseurs de 1834 et de 1835.

Aucun genre de succès n’a manqué à la pièce de M. Gil y Zarate ; dans un pays où, dès la sixième soirée, le public se rebute et s’éloigne du drame nouveau, Don Carlos a dépassé d’un seul trait et de beaucoup les cent représentations. Quand les progressistes avaient en main le pouvoir, ils se réjouissaient d’une pièce qui exaltait si bien les plus aveugles instincts révolutionnaires ; et les modérés se seraient exposés à une émeute furieuse, si, rentrés aux affaires, ils avaient essayé d’interdire la scène del Principe à ce roi possédé du démon, à ce moine corrompu et fanatique, à cette jeune fille qui va toute vive brûler sous le san-benito. Dès son apparition, Don Carlos a soulevé dans la presse péninsulaire des polémiques violentes qui, nous l’avons dit, se réveillent encore de temps à autre. Enfin, il a eu jusqu’aux honneurs d’une poursuite judiciaire : un parent du père Froïlan Diaz, indigné de voir le nom de sa famille livré tous les soirs à l’exécration publique, somma M. Gil y Zarate de déclarer qu’il avait pris, non dans l’histoire, mais dans son imagination, l’odieux personnage du grand-inquisiteur. Le procès n’eut pas lieu pourtant, et nous ne savons pour quels motifs. Assurément, le parent du père Froïlan fit preuve, en se désistant, d’une modération fort louable ; il n’en est pas moins vrai qu’aucune autre mémoire historique n’a été aussi étrangement défigurée et travestie. Ce père Froïlan n’a jamais été grand-inquisiteur, mais tout simplement confesseur du roi Charles II. Bien loin de s’être porté le dénonciateur en titre du saint-office, c’est lui précisément qui a eu à se débattre contre ses persécutions. En butte à l’inimitié de la reine, par la seule raison que, dans une monarchie absolue, une reine doit haïr nécessairement le confesseur du roi, il se vit contraint de se réfugier à Ségovie pour échapper au grand-inquisiteur de l’époque, don Baltasar de Mendoza, que la reine avait irrité contre lui. On ne sait jusqu’où serait allée la haine de la reine et du grand-inquisiteur, si, dès son avènement, Philipe V, qui réellement a eu l’intention d’abolir le saint-office, n’avait, de sa pleine autorité, ordonné la suppression