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importées de l’étranger s’effacent, et le naturel reparaît ; insensiblement vous touchez à des points où l’action révolutionnaire n’arrive pas. En Portugal, tout le mouvement politique se concentre dans Lisbonne et dans Oporto, et le reste du pays vit la plupart du temps sans se soucier le moins du monde des changemens de ministère et de constitution. Allez à Coïmbre, par exemple, et vous m’en direz des nouvelles ; c’est le moyen-âge pris sur le fait : vous savez, ce peuple de Cervantes au costume à la fois clérical et séculier. Croirait-on qu’il y a encore un endroit en Europe où les étudians s’habillent comme Faust et Paracelse, parlent latin, s’intitulent enfans des Muses, et jouent de la guitare au clair de lune sous la fenêtre de leurs maîtresses ? Si Childe Harold vous inspire l’idée de voir Cintra, le glorious Eden de Byron, le paradis de la Lusitanie :

Cintra donde as Naiadas escondidas
Nas fontes vao fugindo ao duro braço ;


j’avoue qu’en ce livre Coïmbre m’est apparu sous un aspect bien tentant.. En effet, rien de plus romantique et de plus singulier que cette Athènes du moyen-âge conservée là comme par magie, rien de plus curieux que ce peuple de virtuoses tapageurs ne relevant que de la discipline de l’université dont il porte aujourd’hui encore le costume tel qu’il était en 1537, au temps de dom Garcia de Alméida, le premier grand-maître de Coïmbre. Depuis dom Garcia, on ne compte pas moins de quarante-cinq recteurs, dont les portraits figurent dans la salle du conseil tendue de damas brodé d’or. Le personnage actuellement investi de ces magnifiques fonctions (les protocoles universitaires donnent au recteur le titre de sa magnificence) est un vieux comte de Terena dom Sébastien Correa de Sà. Ici je cède la parole au spirituel touriste, qui nous racontera, sans omettre un détail, le cérémonial d’une visite en si haut lieu. « À peine installé dans mon hôtellerie, j’envoyai au vieux comte une lettre de Costa Cabral, et deux heures après le neveu de sa magnificence vint me chercher dans un équipage digne des prélats du XVIIe siècle. C’était un lourd et somptueux carrosse à huit glaces, et tiré par quatre mules que dirigeaient deux élégans postillons. Nous traversâmes ainsi à grand fracas les rues tortueuses de Coïmbre, et montâmes au palais de l’université, construit en haut de la montagne sur un plateau qui domine la ville. En arrivant, nous trouvâmes le comte de Terena occupé à présider les conférences publiques qui ont lieu au terme de l’année scholaire et se prolongent des semaines entières avec beaucoup de solennité. Sa magnificence, assise sous un dais de velours et portant l’ancien costume portugais à épée, dirigeait un débat juridique, ayant autour d’elle les doyens des diverses facultés. Les débats se tenaient en latin, en présence d’un nombreux auditoire de jeunes gens auxquels leur pourpoint noir donnait un air de gravité à surprendre fort, je dois le dire, leurs joyeux confrères d’Heidelberg et d’Iéna. En général, l’étudiant portugais ressemble assez à un enterrement, et, si je