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immense ! La marine anglaise veut bien désormais se montrer discrète dans l’exercice du droit de visite : c’est la preuve qu’elle abdique toute prétention à l’empire des mers ! De pareilles dispositions, jointes à des difficultés politiques devenues si grandes pour M. Guizot, peuvent inspirer des doutes sur le succès des négociations qu’il poursuit pour obtenir la révision des traités. L’œuvre paraît au-dessus de ses forces. Cependant les chambres attendent l’accomplissement des devoirs qu’elles lui ont imposés. La France ne peut consentir à aliéner l’indépendance de son pavillon.

Si la France a ses embarras, l’Angleterre a les siens. Sans parler de ceux que nous lui donnons, bien malgré nous, et qui sont l’effet d’une politique dont nous souffrons pour le moins autant qu’elle, son attention est dirigée sur plusieurs points qui provoquent de sa part des réflexions sérieuses. Aux États-Unis, ses intérêts sont menacés. Pour se concilier les états de l’Union, elle leur a fait des concessions de territoire qui n’ont pas suffi à l’ambition américaine. Le territoire de l’Oregon devient l’objet d’un nouveau litige qui peut amener des complications graves. Ce n’est pas tout. La grande question qui divise l’Angleterre et l’Amérique est l’annexation du Texas. Source de rivalités et de déchiremens dans le sein de l’Union, l’affaire du Texas, pour l’Angleterre, est une lutte d’intérêts commerciaux et maritimes avec les États-Unis. Si le Texas est annexé à l’Union, les états du sud, qui regorgent d’esclaves, en peupleront les déserts de cette vaste contrée, grande comme le tiers de la France ; ce sera un nouveau marché destiné à la traite. Secondé par les habitudes rapaces et violentes des hommes du sud, l’esclavage se développera sur les bords du golfe du Mexique, et prendra possession d’un territoire d’où l’on ne pourra l’extirper que par la guerre. Ce sera un coup mortel porté à la politique abolitioniste de l’Angleterre. En outre, le voisinage de la race américaine sera funeste au Mexique ; tôt ou tard la race mexicaine, faible et dégénérée, sera refoulée dans l’isthme, et le commerce de l’Angleterre en éprouvera un dommage immense. Aussi l’annexation du Texas est l’objet d’attaques universelles dans les journaux anglais. Les agens de l’Angleterre, répandus dans les états de l’Union, fomentent la discorde entre les partis, et se mêlent ouvertement à une lutte violente, dont l’issue est encore douteuse. Chez elle, l’Angleterre trouve une plaie plus grande. C’est l’Irlande, la malheureuse Irlande, plongée aujourd’hui dans un morne abattement, prête à se réveiller demain, si la voix de son agitateur retentit, et à former autour de lui des rassemblemens nombreux comme des armées. L’Irlande, du reste, par un singulier retour de fortune, pourrait être appelée à profiter des embarras présens de l’Angleterre. Le parti tory, son implacable ennemi, semble ne pas repousser l’idée qu’il serait temps enfin de fermer ses blessures. Un voyage de la reine en Irlande., un acte de clémence en faveur d’O’Connell et de ses amis, quelques mesures destinées à diminuer la misère du pays, voilà, d’après certains indices, le plan qui serait sérieusement discuté aujourd’hui, dans le but de calmer l’agitation du rappel, et d’étouffer