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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/695

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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

sa mère en douloureuse et muette observation, lui demanda quelle était cette masure qu’elle contemplait de la sorte. Elle refusa d’abord d’en croire ses yeux ; comme le soleil venait de se coucher, elle pensa sérieusement que c’était un effet de crépuscule, et qu’elle était le jouet d’un mirage de nouvelle espèce. Toutefois, elle acheva le trajet d’un pas moins ferme et d’un cœur moins joyeux. Hélas ! il n’était que trop vrai, la garenne avait disparu, il n’en restait qu’un bouquet de chênes. Le château n’était plus qu’un corps mutilé qui cachait ses blessures sous un linceul de lierre. Les fossés étaient transformés en jardins potagers ; la chapelle n’existait plus ; les tourelles avaient disparu ; la façade tombait en ruines. Et pas un serviteur sur le seuil de la porte ! pas un coup de fusil ! pas un bouquet ! pas une harangue ! pas d’autres cris que ceux des hirondelles qui volaient dans l’air bleu du soir ! partout, aux alentours, la solitude et le silence des tombeaux. Mme de Vaubert continuait d’avancer, et son fils répétait en la suivant d’un air surpris : — Où donc allons-nous ? où me conduisez-vous, ma mère ? — La baronne marchait en silence. Lorsqu’elle pénétra dans ce nid dévasté, elle sentit ses jambes défaillir et son cœur qui se mourait dans sa poitrine. L’intérieur était plus sombre encore et plus dévasté que ne le promettait le dehors. Les parquets étaient pourris, les lambris enlevés, enlevées aussi les tentures de damas et de cuir de Hollande ; enlevés les tableaux ; enlevés les meubles gothiques et les meubles de la renaissance ; salles vides, appartemens déserts, murs nus et délabrés ; seulement, çà et là, aux plafonds quelques vestiges de dorure ; aux fenêtres, quelques lambeaux de soie oubliés, décolorés par l’humidité et rongés par les rats. — Où sommes-nous, ici, ma mère ? demandait Raoul en promenant autour de lui un regard étonné. Mme de Vaubert allait de chambre en chambre et ne répondait pas. Enfin, après avoir cherché vainement une ame à travers ces débris, elle trouva dans la cuisine un vieux serviteur profondément endormi sous le manteau de la cheminée. Elle le secoua violemment par le bras, en s’écriant à plusieurs reprises d’une voix impérieuse et brève : — Où est M. de Vaubert ? — M. de Vaubert, madame ? répondit le vieillard en se frottant les yeux, il est au cimetière. — Vous êtes fou, bonhomme, répliqua vivement la baronne qui n’avait plus la tête à elle. Que voulez-vous que M. de Vaubert soit allé faire au cimetière ? — Madame, répondit le vieux serviteur, il y fait ce que je faisais ici tout à l’heure, il y dort d’un profond sommeil. — Mort ! s’écria la baronne. — Et enterré depuis un mois, ajouta tranquillement