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pour aider cette saine institution se retrouverait sur la diminution des frais de justice, de gendarmerie, de prisons et d’ hôpitaux. Nous croyons que c’est une bonne économie de favoriser l’économie, et qu’on ne pale jamais trop cher les vertus d’une population. Or, sous ces 365 millions qui forment la réserve matérielle des travailleurs, il y a, selon nous, un autre trésor bien autrement précieux, trésor de devoir et de moralité : chaque franc, chaque sou, chaque liard de cette somme lentement amassée représente une victoire sur soi-même, une résistance aux séductions du plaisir ou de la débauche, un élan d’amour filial, un sentiment réfléchi de l’avenir ; voilà surtout, ce qu’il faudrait exciter par l’émulation.

Il y aurait en outré un danger sérieux à ne pas récompenser les premiers pas de la classe ouvrière dans la voie de l’ordre et de l’économie. Si l’on songe à toutes les suggestions de l’industrie pour attirer à elle les petits capitaux par l’appât de gros bénéfices ; si l’on se met à la place de l’homme du peuple, entouré de prêteurs empressés qui lui offrent un intérêt suborneur, on tremblera pour son modeste pécule. Tel est néanmoins le bon sens de la classe populaire, qu’elle a constamment repoussé ces leurres perfides. Elle s’est dit avec le fabuliste : Un tiens vaut mieux que deux lu l’auras, et avec le pape Grégoire XVI, « qu’il vaut mieux un gain petit, mais certain, qu’un grand qui peut échapper. » Ce gain, il faut le reconnaître, est d’ailleurs la moindre des considérations pour les cliens de la caisse d’épargne. Ce n’est pas dans le but d’obtenir un intérêt élevé de leur argent que les classes pauvres et laborieuses versent leurs économies dans les mains de cette institution : elles n’ont guère en vue que la conservation du capital ; elles se proposent de mettre en sûreté le fruit précieux de tant de rudes efforts ; et voilà tout. S’il existait beaucoup de dépositaires intègres, la caisse d’épargne deviendrait presque inutile ; mais où est l’ami assez assuré, où est la main assez fidèle pour mériter qu’on lui confie le sort d’une prévoyante vieillesse ? L’ouvrier a compris que l’état était encore le plus solvable des débiteurs. Tout en encourageant le peuple dans cette voie, nous ne pouvons néanmoins nous défendre de regretter que le taux des intérêts de la caisse d’épargne soit ainsi restreint. Conserver et rendre les économies de la classe laborieuse, c’est déjà bien ; nous voudrions qu’on fit mieux, en s’occupant de les accroître. Il résulte de l’état de choses actuel qu’au lieu de voir dans la caisse d’épargne un mode de placement définitif pour l’avenir, les ouvriers s’accoutument à y chercher tout simplement une ressource provisoire contre les cas de maladie, de chômage,