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femme. On peut ajouter qu’il en est de même dans le ménage ; c’est elle, c’est sa faible main qui a retenu souvent la clé de l’armoire dans les momens de crise ou de tentation où l’homme voulait dévorer le fruit de plusieurs semaines de travail et d’abstinence. Nous nous sommes informé de vive voix si la caisse d’épargne avait une influence sur les femmes de mauvaises mœurs ? La réponse a été affirmative. La débauche, ne pouvant être une profession reconnue, ne s’accuse guère d’elle-même : d’où il suit qu’elle n’a pu et n’a pas dû trouver place sur les tableaux que M. A. Prevost soumet tous les ans à l’assemblée générale. La plupart des femmes de petite vertu qui reçoivent des livrets en échange de leurs dépôts se déguisent, suivant leur toilette, sous la profession de rentières ou d’ouvrières. Les employés les reconnaissent du reste, aisément pour ce qu’elles sont. L’une d’elles, qui avait amassé ainsi 2,000 francs, Trouva dans ses économies le moyen de se racheter d’un infâme métier et de monter à Paris un établissement de bains. Quelques moralistes s’indignent de ce résultat général ; nous nous en félicitons au contraire : la misère étant, dans la plupart des cas, la cause première et incessante de la dégradation de ces femmes, nous devons les aider à se relever par l’économie des deniers qu’elles prélèvent sur la brutale libéralité des hommes. C’est au mal de guérir le mal, comme le scorpion qui écrasé, cicatrise lui-même sa blessure. La race des grisettes, cette race frivole et dissipée, qui a la réputation de vivre çà et là comme l’oiseau, volant de branche en branche, becquetant où elle peut, riant quelquefois, chantant toujours, n’est pas elle-même demeurée étrangère aux conseils de la caisse d’épargne. Elle a compris que le temps des amours ne dure pas toujours, non plus que celui de la jeunesse fugitive ; la sagesse lui a dit d’assurer son destin sur un roseau moins mobile que le cœur de l’homme et sur une fleur moins fragile que la grace de son visage. La prévoyance, qui le croirait ? est entrée chez cette folle du logis ; ces mains toujours ouvertes, qui gaspillaient tout au hasard, se sont fermées ; ces petits pieds, qui ne connaissaient guère que le grand chemin du Prado ou de la Chaumière, ont appris peu à peu la voie étroite de l’économie. Les vieux disent que le monde est changé depuis la révolution ; quel changement survenu en effet, seulement depuis 1830 dans l’humeur de cette jeune fille dont la sagesse a été si long-temps de ne rien prévoir ! Après avoir dissipé le bien de la jeunesse vivendo luxuriose, après avoir été mille fois au Mont-de-Piété sans s’en trouver mieux, au contraire, elle s’est dit un beau jour : « On raconte qu’il y a quelque