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dot à cet enfant sans nom. On en voit d’autres arriver, par les mêmes travaux de l’aiguille et à force d’économie, à conquérir, écu par écu, leur lit de noces et les premiers meubles du ménage. Les unes et les autres trouvent ainsi moyen d’éviter pour elles ou pour leurs filles ce gouffre de la prostitution qui attire à soi par la misère comme par un fil les oisives ou les imprévoyantes. La caisse d’épargne n’est point étrangère aux sacrifices les plus âpres, ni aux vertus les plus morales. Si l’histoire du bohémien qui vit, comme l’oiseau, d’espace, de soleil et de chansons, qui dissipe son temps et sa bourse le long de la route, plaît par son caprice et par sa fantaisie, l’honnête ouvrier, père de famille retranchant chaque jour de sa paie la dîme du dévouement, pour assurer, en cas de mort, à une tête chérie, à des enfans en bas age, une défense matérielle contre les horreurs et les tentations de la subite misère, cet homme-là, dis-je, n’est pas seulement intéressant, il est sublime. L’un traverse la vie, en semant çà et là sur son chemin, comme l’enfant, des miettes de pain que les oiseaux du ciel font disparaître tandis que l’autre jette des signes durables et féconds de son passage.

Les dévouemens obscurs et anonymes sont plus communs qu’on ne le croit dans la classe pauvre. Nous avons vu nous-même une de ces vieilles veuves, dont Jésus-Christ mettait l’aumône au-dessus de celle du riche, apporter dans la caisse de l’administration son humble denier, non pas pour elle, qui va bientôt mourir, et dont la prévoyance ne s’étend plus qu’à l’éternité, mais pour un enfant adoptif qui la suivait par la main. L’économie a un cœur ; l’économie, qui ferme les mains pour ses besoins, les ouvre sur ceux qui lui survivront. Autrefois, en Italie, les villageois plantaient autour du berceau de leur fille des peupliers dont la valeur, croissant d’année en année, devait contribuer un jour à la dot de son mariage. La caisse d’épargne a remplacé la terre pour l’ouvrier de nos grandes villes ; il est certain de recueillir ce qu’il y a semé. Cette confiance a déjà porté ses fruits ; il y a moins de misère dans la classe laborieuse depuis que les caisses d’épargne existent. Il s’agit à présent d’entretenir et d’encourager ce mouvement en récompensant l’exactitude des petits dépôts, soit par une somme d’argent, comme cela a lieu en Angleterre, soit par un champ que l’état délivrerait en propriété. Aux yeux de l’économiste, celui qui met le plus à la caisse d’épargne, c’est le pauvre qui met de sa pauvreté même. Or il est à craindre que, voyant le peu de résultats de ses efforts et le peu de fruit de ses sacrifices, l’ouvrier ne finisse par se dégoûter d’une économie stérile, ou par s’engager dans des entreprises