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HISTOIRE DE L’ÉCOLE D’ALEXANDRIE.

Je ne dis point que la méthode dialectique conduise nécessairement au panthéisme ; je dis qu’elle y incline par une impulsion naturelle que les plus fermes génies n’ont pu surmonter. Cette méthode consiste en effet essentiellement à poursuivre en toutes choses ce qu’elles contiennent de persistant et de simple, l’élément positif, substantiel, l’idée, comme disent les platoniciens. Or, ce principe absolu, et parfait auquel la dialectique aboutit par tous les chemins, soit qu’elle interroge la nature, soit qu’elle sonde la conscience humaine ; ce principe où tout ramène une ame de philosophe, depuis les astres qui roulent dans les cieux jusqu’à l’humble insecte caché sous l’herbe, ne semble-t-il pas qu’à mesure que la pensée s’élève vers lui, elle se détache du néant pour arriver à l’être, qu’elle dépouille en quelque sorte les objets qu’elle abandonne de toute la perfection et de toute la réalité qu’elle y peut saisir, pour la transporter, pour la rendre tout entière à celui qui la possède en propre, et qui contient tout en soi dans la plénitude de son existence absolue ? Et quand on quitte ainsi dès le premier pas la réalité sensible, l’individualité, l’espace, le mouvement et le temps ; quand tout cet univers n’est plus en quelque sorte qu’une vapeur brillante et légère à travers laquelle l’ame contemple l’être parfait et absolu dans sa majesté éternelle, ne touche-t-on pas au panthéisme ?

Rien n’autorise à penser que Platon se soit laissé entraîner jusqu’à cette extrémité périlleuse, de ne plus voir dans les êtres de l’univers qu’une émanation, un écoulement, un développement nécessaire de Dieu ; mais il n’a jamais adopté, si même il n’a jamais clairement aperçu le principe de l’émanation, on peut dire que ce principe est caché dans les profondeurs de sa doctrine, et qu’il suffit de la presser pour l’en faire sortir. Du reste, ce noble et ferme génie, en qui Socrate avait imprimé sa mâle sobriété, a toujours repoussé avec énergie les conséquences trop ordinaires du panthéisme ; toujours il s’est tenu ferme sur la liberté de l’homme et la providence de Dieu. Qu’il me suffise de rappeler ce passage de la République où Platon, dans un mythe admirable, fait parler la vierge Lachésis, fille de la Nécessité : « La vertu n’a point de maître ; elle s’attache à qui l’honore, et abandonne qui la néglige. On est responsable de son choix ; Dieu est innocent. »

Du panthéisme au mysticisme, la pente est rapide. Le principe de l’un et de l’autre est le même : un sentiment exalté de l’infini. La méthode platonicienne, dont ce sentiment est l’ame, doit incliner également vers tous deux. Quel est le point de départ de la dialectique ? La