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jamais la personnalité n’était tombée si bas. Il fallait la relever, ou c’en était fait du monde. Or, le plus frappant caractère de la philosophie alexandrine, c’est l’abaissement systématique, c’est presque l’anéantissement de la personnalité ; tandis qu’au contraire c’est le trait le plus profond de la philosophie chrétienne de la maintenir et de la sanctifier. Alexandrie présente aux hommes un Dieu inaccessible que l’esprit ne peut concevoir, que la bouche ne peut nommer ; un Dieu que l’ame ne possède qu’en se perdant elle-même ; un abîme qui l’engloutit, au lieu d’un Dieu d’amour qui la console et l’embrasse. La philosophie alexandrine promet à l’homme, il est vrai, la possession la plus intime de Dieu dans les ravissemens de l’extase ; mais ce n’est là qu’une illusion. En exaltant outre mesure la personnalité, le mysticisme l’écrase, et pour diviniser le moi il l’absorbe et l’abolit.

La nature humaine porte dans son fonds misérable le germe d’un double dérèglement. Si vous abandonnez la personnalité à elle-même, sans guide supérieur, sans appui divin, elle s’enivre de sa puissance et se dévore par ses propres excès. Si, dans le sentiment exalté de sa faiblesse, elle perd celui de sa force et de sa grandeur, c’est une autre ivresse non moins périlleuse que l’autre, quoique plus noble, et qui souvent porte les mêmes fruits. Ç’a été le caractère et l’excès de la civilisation grecque et romaine de faire l’homme si grand à ses propres yeux qu’il en perdait le sentiment du divin, et ne voulait connaître Dieu qu’à condition de lui imposer sa propre forme. Au premier siècle, cette forte personnalité antique était épuisée ; c’était à l’Orient, terre du mysticisme, à répandre dans la Grèce et dans Rome le sentiment effacé de l’éternel et du divin. Le problème du salut du monde, si l’on peut parler de la sorte, était alors de concilier, de fondre ensemble Dame de l’Orient et celle de la Grèce. Tous les esprits étaient frappés de la nécessité absolue de cette fusion. Philon le juif, les gnostiques, les kabbalistes, l’essayèrent tour à tour. Ce qui distingue Alexandrie, c’est qu’elle entreprit de réaliser cette harmonie avec plus de suite, de force et de génie, que toutes les autres écoles contemporaines. Voilà pourquoi elle parut si grande. Mais elle échoua dans sa tentative. Elle ne sut point opérer ce difficile mélange de raison et de sentiment qui convient toujours et qui convenait alors plus que jamais au genre humain ; elle y laissa prévaloir et dominer l’élément mystique. Qu’on songe que le sage Plotin, au témoignage de son plus intime ami, avait joui trois fois de l’union extatique, s’était par trois fois identifié avec l’Un. Porphyre, modeste disciple,