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est excusé, les assassinats restent impunis. Un homme est frappé dans une rue fréquentée, dix témoins regardent l’assassin sans chercher à l’arrêter. Si l’on se trouve forcé d’envoyer en prison un meurtrier, aucun témoin n’ose déposer contre lui, et après quelques jours le malfaiteur est rendu à la liberté. Nulle part on n’est plus frappé qu’à Fernambouc de cet étrange état moral. Cette ville est célèbre par le nombre des assassinats qui s’y commettent impunément. Le président de la province, baron de Boavista, a été lui-même impliqué dans des assassinats commis par sa famille. Sans avoir participé directement au crime, il a employé son influence pour empêcher toute poursuite, et une opposition très vive s’est manifestée contre lui dans l’assemblée provinciale. Il est triste de dire que, si le président est coupable, beaucoup de ceux qui l’accusent auraient fait comme lui. Ces habitudes indignes d’une nation civilisée révoltent le voyageur européen ; mais l’exemple part de si haut qu’il faut bien reconnaître que toute répression est impossible. Que faire quand le président de la province est accusé sans pouvoir se justifier ? Que faire quand le chef de la justice donne l’exemple d’une vénalité imitée par tous les juges inférieurs ? Les femmes suivent les exemples de cruauté qu’on leur donne chaque jour. Elles ne manient pas le poignard elles-mêmes, mais elles soudoient des assassins pour se venger. Une femme qui en était à ses premiers débuts dans la vie galante fut insultée par une mulâtresse plus courtisée qu’elle. Trois ans s’écoulent ; vivant avec des hommes impuissans à la protéger, elle laisse dormir ses pensées de vengeance. Devenue la maîtresse d’une des premières autorités de la province, elle profite enfin de son pouvoir, et par ses ordres on rase entièrement la mulâtresse qui l’avait offensée. Quelques jours plus tard, elle fait annoncer à sa malheureuse victime, en lui renvoyant les dépouilles de sa chevelure, qu’elle seule a ordonné cet odieux traitement.

Un fait qui s’est passé à Fernambouc, il y a quelques années, caractérise à merveille ce mélange d’orgueil et de cruauté qui indigne l’étranger introduit dans la société brésilienne. Un jeune homme sans fortune, sans appui, avait demandé la main d’une descendante des Albuquerque ; ses prétentions irritèrent la famille, qui, entre autres vanités, a celle de faire remonter son origine aux premiers donataires de la province, les Albuquerque-Coëlho. Pourtant la jeune fille était toute favorable à celui qui demandait sa main. Les Albuquerque se réunissent ; le prétendant arrive, se croyant sûr du succès. La famille était assise autour d’une table qu’un tapis recouvrait en partie. A peine le