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passions de chacun en face de sa raison, sollicitant le cœur à s’analyser, l’esprit à se juger ; ainsi les douleurs incurables retombent sur elles-mêmes, au risque de briser l’être qui les porte. L’ouvrage de lady Fullerton, à l’insu de l’auteur même, renferme un plaidoyer secret en faveur de la confession catholique, et au moment où les doctrines d’Oxford continuent leur singulier travail, où une faible portion du clergé protestant d’Allemagne les adopte, où une autre portion du clergé catholique penche vers une réforme, cette coïncidence, fortuite sans doute, est plus qu’intéressante à observer.

Revenons à l’histoire d’Ellen, et rentrons dans le manoir des Middleton pour ne plus le quitter. Deux jeunes gens y passaient les vacances, et l’un d’eux n’était pas indifférent à la jeune fille. Le grave Édouard Middleton, neveu du père, un de ces hommes sévères qui n’ont pas de jeunesse et qui attirent et séduisent la mobilité féminine par l’immobilité de l’ame et le sérieux de l’esprit, inspirait déjà à sa jeune cousine ce respect mêlé d’admiration attendrie qui chez les femmes d’ordre supérieur accompagne les préférences profondes. Lui-même aimait Ellen, ou plutôt il l’étudiait. Quant à Henri Lovell, le seul caractère viril que lady Fullerton ait peint de couleurs vives et franches, imaginez une de ces audaces saxonnes qui apparaissent assez souvent chez nos voisins, — héros épris des grandes chances, des joies folles, des courses périlleuses, des passions extrêmes, des douleurs emportées ; pour ce Lovell, la vie sans accidens eût été l’enfer. Vous avez vu sans doute de ces hommes de fougue qui parlent bien, causent brillamment, aiment l’action, et sont capables de nobles choses, quand la débauche ou le danger imprudemment bravé ne les ont pas détruits à vingt-cinq ans ? Toutes leurs saillies sont hasardeuses ; ils se reposent dans l’extrême, et n’ont d’ennemi que l’ennui. Tels Walter Raleigh au XVIe siècle, Buckingham au XVIIe, Fox au XVIIIe. Henri, dès vingt et un ans, avait brûlé sa vie. Il avait joué gros jeu à Oxford ; son oncle avait payé ses dettes. À Londres, il avait recommencé de plus belle, et tout prêt à se déshonorer et à se tuer, une ancienne gouvernante de sa famille l’avait sauvé, à grand prix comme on va voir.

Parlons de cette gouvernante. J’aurais voulu que mistriss Tracy fût étudiée et peinte à la façon de Holbein et de Rembrandt ; je vois d’ici sa figure sèche et pointue, l’étincelle de deux petits yeux enfoncés, l’air dévot et amer, le bonnet collé sur la tête, et une certaine austérité avare répandue sur toute la personne. Mistriss Tracy avait passé la première moitié de sa vie à servir ; elle en passait l’autre moitié à intriguer. Devenue assez riche à force d’économie sordide et de petits