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peu de monde ; les soirées se passaient en famille. Stamply était de toutes les réunions, honoré comme un patriarche et caressé comme un enfant. Le marquis avait exigé qu’il occupât le plus bel appartement du château. Ses gens, qui le servaient à peine et ne le respectaient pas davantage, s’étaient vus remplacés par des serviteurs diligens et soumis qui veillaient à ses besoins et prévenaient tous ses désirs. On l’entourait à l’envi de toutes les attentions si douces à la vieillesse ; on prenait ses ordres en toutes choses ; on ne faisait rien sans le consulter. Ajoutez à tant de séductions la présence de Mlle  de La Seiglière ; songez que ce n’était, à dix lieues à la ronde, qu’un hymne en l’honneur du plus honnête des fermiers.

Cependant quelques mois à peine s’étaient écoulés que déjà la vie du château avait changé de face et d’allure. Aussi vert et alerte que s’il avait vingt ans, M. de La Seiglière n’était pas homme à se contenter long-temps des joies du foyer et des délices de l’intimité. Il avait repris sa fortune comme un vêtement de la veille, et ne se souvenait du passé que comme d’une pluie d’orage. Vif, allègre, dispos, bien portant, il s’était conservé dans l’exil comme les primevères sous la neige. Les vingt-cinq années qui venaient de s’écouler ne l’avaient pas vieilli d’un jour. Il avait trouvé le triple secret qui fait qu’on meurt jeune à cent ans, l’égoïsme, l’étourderie du cœur et la frivolité de l’esprit ; au demeurant, le plus aimable et le plus charmant des marquis. Nul n’aurait pu croire, au bout de quelques mois, qu’une révolution avait passé par là. On avait redoré les plafonds et les lambris, renouvelé les meubles et les tentures, rétabli les chiffres et les écussons, lavé, gratté, effacé partout la trace de l’invasion des barbares. Pour nous servir des charitables expressions de Mme  de Vaubert, qui ne se gênait déjà plus pour en plaisanter, on avait nettoyé les étables d’Augias. Ce ne furent bientôt que fêtes et galas, réceptions et chasses royales. Du matin au soir, souvent du soir au matin, les voitures armoriées se pressaient dans la cour et dans les avenues. Le château de La Seiglière était devenu le salon de la noblesse du pays. Une armée de laquais et de marmitons avait envahi les cuisines et les antichambres. Dix chevaux piaffaient dans les écuries ; les chenils regorgeaient de chiens ; les piqueurs donnaient du cor toute la journée. Stamply avait compté sur un intérieur plus paisible, sur des mœurs plus simples, sur des goûts plus modestes ; il n’était pas au bout de ses déceptions.

Dans la première ivresse du retour, on avait trouvé tout charmant en lui, son costume, ses gestes, son langage, jusqu’à ses gilets de