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comparaisons qui n’étaient pas précisément à l’avantage de notre jeune baron ; mais tout cela était trop confus dans son cœur et dans son esprit pour qu’elle cherchât à s’en rendre compte. C’était d’ailleurs une ame bien trop loyale pour entrevoir seulement l’idée qu’on pût revenir sur un engagement pris et sur une parole donnée. Fiancée de Raoul, à partir du jour où elle avait compris le sens et la portée de ce mot, la noble fille s’était regardée comme une épouse devant Dieu. Enfin, ce mariage agréait au marquis ; Raoul cachait sa nullité sous un fin vernis de grâce et d’élégance ; il ne manquait ni des séductions de son âge ni des qualités chevaleresques de sa race, et, pour tout dire, Mme de Vaubert, qui veillait au grain, ne manquait jamais, dans l’occasion, de lui prêter l’esprit qu’il n’avait pas. Tout allait pour le mieux, et rien ne semblait devoir troubler le cours de ces prospérités, lorsqu’un événement inattendu vint se jeter à la traverse.

On célébrait du même coup au château la fête du roi, le troisième anniversaire de la rentrée du marquis dans ses terres, et les fiançailles de Raoul et d’Hélène. Cette triple solennité avait attiré toute la haute noblesse de la ville et des alentours. À la nuit tombante, le château et le parc s’illuminèrent, un feu d’artifice fut tiré sur le plateau de la colline ; puis le bal s’ouvrit dans les salons, tandis qu’au dehors villageois et villageoises sautaient sous la ramée, au son de la cornemuse. Mme de Vaubert, qui touchait au but de ses ambitions, ne cherchait pas à dissimuler la satisfaction qu’elle en éprouvait. La seule présence de Mlle de La Seiglière justifiait suffisamment l’orgueil et le bonheur qui rayonnaient, comme une double auréole, sur le front de Raoul. Quant au marquis, il ne se sentait pas de joie. Chaque fois qu’il se mettait au balcon, ses vassaux faisaient retentir l’air des cris de vive notre maître ! vive notre seigneur ! mille fois répétés avec un enthousiasme qui prenait sa source dans le cœur de ces braves gens et dans les caves du château. Stamply était mort depuis quelques mois ; qui songeait à lui ? personne, si ce n’est Hélène, qui l’avait sincèrement aimé, et qui gardait pieusement sa mémoire. Ce soir-là, Mlle de La Seiglière était distraite, rêveuse, préoccupée. Pourquoi ? elle-même n’aurait pu le dire. Elle aimait son fiancé, du moins elle croyait l’aimer. Elle avait grâce et beauté, amour et jeunesse, noblesse et fortune : tout n’était autour d’elle que doux regards et frais sourires ; la vie ne semblait lui promettre que caresses et enchantemens. Pourquoi ce jeune sein oppressé et ces beaux yeux voilés de tristesse ? Organisation fine et déliée, nature délicate et nerveuse, comme les fleurs à l’ap-