Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/995

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils portent en eux doivent parler avec le plus d’autorité. C’est ce qui nous décide à donner, dès aujourd’hui, quelques développemens aux réflexions que l’affaire de Taïti nous suggère.

Le différend auquel a donné lieu l’expulsion de M. Pritchard des îles de la Société a mis en question, avec une gravité et sous une forme nouvelle, la situation de la France envers l’Angleterre, et a montré par des faits très significatifs la portée de la politique du cabinet du 29 octobre.

Le point le plus important de cette complication n’est pas en effet, à mon avis, le dénouement par lequel on la dit terminée. Je ne crois pas que le plus grand intérêt de l’affaire de Taïti soit dans la solution que le cabinet a donnée à cette affaire. Il me paraît évident d’abord qu’il n’est pas aujourd’hui possible de discuter complètement cette solution. Sans doute, l’arrangement, tel qu’il est présenté par les amis mêmes du ministère, peut être à bon droit critiqué ; sans doute, dans la prétention du ministère à n’exprimer qu’un regret, et dans la concession d’une indemnité qu’il accorde à M. Pritchard, cet arrangement présente une contradiction qui, de quelque manière qu’elle soit plus tard expliquée, ne pourra faire honneur au cabinet ; sans doute, des conjectures fort plausibles et des révélations dignes de confiance permettent déjà de porter un jugement sévère sur la solution même dont le ministère voudrait se réjouir comme d’une victoire. Cependant le ministère tend ici des embûches au débat. Devant son silence, comment apprécier les termes de l’arrangement ? Que dire des faits qui lui ont servi au moins de prétexte, lorsqu’il tient ces faits enveloppés d’obscurité ? Savons-nous ce qu’il y a eu de blâmable ou de blâmé dans la conduite de M. d’Aubigny ? Savons-nous de quelle mesure de blâme M. Bruat a jugé digne la conduite de son lieutenant ? Il peut y avoir dans tout cela pour le ministère de délicates questions, d’où il est vraisemblable que son honneur sortira dangereusement atteint. Mais les grandes questions ne sont pas là : lors même que le différend soulevé par M. Pritchard aurait été terminé par le ministère sans compromis fâcheux, la portée de ce différend n’en serait pas moins fatale pour lui. Il y a toujours, et avant tout, à demander compte au ministère de la situation dans laquelle il a conduit la France vis-à-vis de l’Angleterre. Il y a à porter un jugement sur sa politique dans l’Océanie, si promptement éclairée par de si tristes résultats.

L’attitude et le langage du ministère et de ses amis, durant la crise et les premiers momens qui ont suivi la solution, donnent à notre situation vis-à-vis du royaume-uni un singulier caractère de gravité.