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de ces questions pratiques dont les hommes du métier sont les meilleurs juges. Qu’on les interroge ; nous nous en rapporterons aux tailleurs de pierre et aux moindres maçons. Demandez à ceux qui vont encore aujourd’hui, à l’issue de leur apprentissage, visiter la vis de Saint-Gilles en Provence ; demandez-leur si ce célèbre ouvrage n’est pas construit d’après des règles et par des procédés complètement distincts de ceux qui ont fait élever et la maison carrée et les autres chefs-d’œuvre antiques du voisinage ? Leur réponse vaudra mieux que toutes les dissertations.

Il ne reste donc plus à résoudre que ce dernier problème : existe-t-il dans l’architecture à ogive un système de décoration ?

Sur ce point, comme sur les deux autres, le savant auteur du Dictionnaire d’Architecture n’admet pas même la controverse. Il y a, selon lui, chez tous les décorateurs du moyen-âge, manque absolu d’originalité et incapacité complète de rien imaginer qui, leur appartienne[1]. « L’ornement gothique, dit-il, n’est qu’une dégénération de l’ornement antique, tradition confuse et transposition incohérente de tous les élémens décoratifs des trois ordres grecs, où les feuilles du corinthien, les volutes de l’ionique, les torses du dorique se trouvent compilés sans intention, sans choix, et exécutés sans art[2]. » Et plus loin, en parlant de la décoration extérieure des églises : « Aucune sorte de goût ni de raison ne peut ni se rendre compte de cette décoration, ni même tenter de s’en définir l’idée. Tout ce qui en fait partie peut y être ou n’y être pas, peut occuper une place ou une autre place, sans qu’on sache ou qu’on puisse dire pourquoi : tout y indique ce manque absolu de raison qui, ainsi que dans les objets de mode et de fantaisie, ne peut s’expliquer que par le hasard, qui n’explique rien[3]. »

Nous comprenons jusqu’à un certain point que, lorsqu’il s’agit des proportions ou même de la construction, on se refuse à reconnaître un caractère régulier et systématique non-seulement dans les œuvres du moyen-âge en général, mais même dans celles des trois siècles où domine l’ogive. Pour distinguer les règles géométriques qui appartiennent exclusivement à ce style, de celles qui sont communes à toutes les architectures, pour apprécier les procédés pratiques que lui seul met en usage, il est nécessaire d’avoir étudié et comparé des monumens

  1. Ibid. T. Ier, p. 679, 2e col.
  2. Ibid., p. 674, 2e col.
  3. Ibid., p. 677. 2e col.