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un pâtre aussi bien qu’à vous-même toutes les vérités nécessaires, sans l’appareil souvent trompeur des démonstrations de l’école.

Cette réponse suffit, ce nous semble ; et pourtant il la faut pousser plus loin ; il faut faire voir que le scepticisme de Pascal ne fait pas même la moindre réserve en faveur des vérités du sentiment et du cœur. Il est trop conséquent pour ne pas être sans limites. En effet, comme l’a dit M. Royer-Collard : « On ne fait point au scepticisme sa part ; » il est absolu ou il n’est pas ; il triomphe entièrement ou il périt tout entier. Si sous le nom du sentiment la raison nous fournit légitimement des premiers principes certains, le raisonnement, se fondant sur ces principes, en tirera très légitimement aussi des conclusions certaines, et la science se relève tout entière sur la plus petite pierre qui lui est laissée. C’en est fait alors du dessein de Pascal. Pour que la foi, j’entends ici avec lui la foi surnaturelle en Jésus-Christ, donne tout, il faut que la raison naturelle ne donne rien, qu’elle ne puisse rien ni sous un nom ni sous un autre. Aussi Pascal a-t-il à peine achevé cette exposition si vantée des vérités de sentiment, et déjà il s’applique à les rabaisser, à en diminuer le nombre, à en contester l’autorité ; lui qui a dit, dans un moment de distraction, que la nature confond le pyrrhonisme comme le pyrrhonisme confond la raison (entendez toujours le raisonnement), lui qui vient d’écrire ces mots « Nous savons bien que nous ne rêvons point, quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, » voilà maintenant que, reprenant les argumens du pyrrhonisme, qu’il semblait avoir brisés de sa propre main, il les dirige contre le sentiment, lui-même, pour ruiner tout dogmatisme qui se fonderait aussi bien sur le sentiment que sur le raisonnement, pour décrier toute philosophie et accabler la nature humaine. Pascal procède avec ordre dans cette entreprise ; il marche pas à pas, et n’arrive que par degrés à son dernier but.

D’abord il s’étudie à montrer que le pyrrhonisme est loin d’être sans force contre les vérités naturelles, et qu’il sert au moins à embrouiller la matière, ce qui est déjà quelque chose. Le passage est curieux : « Nous supposons que tous les hommes conçoivent de même sorte, mais nous le supposons bien gratuitement, car nous n’en avons aucune preuve. Je sais bien qu’on applique ces mots dans les mêmes occasions, et que toutes les fois que deux hommes voient un corps changer de place ils expriment tous deux la vue de ce même objet par les mêmes mots, en disant l’un et l’autre qu’il s’est mu[1] ; et de cette

  1. Voyez notre ouvrage, p. 92 ; man., p 197.