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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/1064

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lui eût donné des ailes. L’air était pur, la route unie ; il était jeune, il se sentait compris, il pensait que, s’il était aimé comme il le désirait, il serait complètement heureux, et une image douce, toujours la même, passa vaguement dans son esprit. En ce moment, il approchait d’Heidelberg, et entendit quelques éclats de voix qu’il reconnut. C’était une bande d’étudians qui revenaient de la promenade. Il fit un détour pour les éviter, et entra dans la ville par un autre côté. Tout entier à ses idées calmes et honnêtes, il voulait les garder loin du bruit et des railleries. Il passait dans une rue étroite et obscure quand il entendit un chant faible et monotone qui le fit tressaillir ; il lui sembla avoir déjà entendu cette voix, et, s’approchant d’une fenêtre basse d’où les sons paraissaient venir, il plongea ses regards dans l’intérieur de l’appartement. Une lampe en éclairait à peine le fond ; ses rayons tombaient sur les cheveux blonds d’une femme occupée à tresser un petit panier de brins de paille et de joncs qu’une autre femme, à genoux près d’elle, lui tendait à mesure. Toutes deux étaient tournées du côté opposé à la fenêtre. Dans un moment, celle qui travaillait releva la tête et prit quelque chose sur une table placée derrière elle. Frédéric reconnut avec un battement de cœur inexprimable celle qui, depuis quelque temps, avait pris sa pensée. Elle avait toujours cet air modeste et un peu sérieux qui l’avait charmé ; son travail paraissait l’occuper tout entière. Seulement, de temps en temps, elle penchait la tête, comme si elle entendait un faible bruit dans le fond de la chambre. Frédéric crut apercevoir dans l’ombre les rideaux blancs d’un berceau. La jeune fille à genoux chantait des paroles sans suite et sans mesure. En ce moment, elle disait :

Brin à brin, branche à branche,
L’hirondelle noire et blanche
Bâtit
Son nid.

Le nid est fait ; l’amour s’y place,
Puis la famille… Un chasseur passe :
Les petits
Sont pris !

Et elle répétait certains mots deux fois, comme font les enfans ; puis elle choisissait les joncs les plus minces et les tendait à la jeune femme. Sur la table était un vase de cristal plein de bruyères sauvages. Ce tableau était pur et tranquille ; Frédéric le trouva en parfaite harmonie avec la disposition de son esprit et le souvenir du séjour qu’il