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cette tragédie pour laquelle Phidias dessinait des masques, était corn la sculpture de ce sublime artiste, imposant, élevé, énergique dans majestueuse immobilité. Il faut du mouvement aux modernes. L’idéal convenable à leur scène devait bien plutôt correspondre à cette autre époque de la statuaite où l’idée se fait chair sous le ciseau des Praxitèle et des Lysippe, où l’expression s’unit à la beauté. D’ailleurs, pour que cet idéal que tout le monde rêvait vaguement se réalisât, il était nécessaire que des poètes bien inspirés produisissent, dans cet ordre de sentiment, des ouvrages qui fussent à la fois nobles et saisissans, littéraires et dramatiques.

Eh bien ! ces conditions, ce sont nos trois poètes immortels qui les ont remplies, et c’est là leur vraie gloire. J’associe notre grand comique à Corneille et à Racine, parce que la haute comédie, telle qu’il l’a conçue, admet les qualités de tenue et de diction essentielles dans la tragédie. « Le comique de Molière, a dit avec raison M. de Châteaubriand, par son extrême profondeur, et, si j’ose le dire, par sa tristesse, se rapproche de la vérité tragique. » C’est la passion abstraite qu’ils peignent, mais d’une main assez sûre, d’une touche assez large pour que l’acteur puisse faire vivre sur la scène des types savamment personnifiés. La langue dont se servent, réunissant la clarté, l’exactitude du parler, habituel au noble épanouissement du style littéraire, permet, que dis-je ? commande impérieusement cette musique du langage qui poétise la voix de l’instinct. Sachant bien, que le drame a besoin, pour exister, de l’émotion populaire, l’idéalisme n’est pour eux qu’un moyen de concentrer : l’intérêt par l’unité d’impressions. Ils conduisent leur œuvre à ce point culminant dans l’art où le mouvement se produit sans altérer la beauté, où la vérité, poétisée par le génie, semble plus animée, plus réelle que la nature même. C’est ainsi que nos trois grands poètes ont créé la possibilité d’élever la pratique théâtrale à la dignité d’un art des plus sympathiques. Il est à remarquer que les époques où les scènes étrangères ont eu leurs plus grands acteurs sont précisément celles où elles se sont rapprochées de la poétique de l’école française.

Les vrais principes ne furent pas découverts soudainement. Il fallut plus d’un siècle d’inspirations et de tâtonnemens, il fallut le concours de beaucoup d’hommes éminens, comme acteurs ou comme critiques, pour conduire l’art théâtral à ce degré de perfection qui devait faire la règle de l’avenir. Les acteurs que trouva Corneille étaient pour le tragique, dans le sentiment de l’emphase espagnole, à l’exception de Floridor, homme de qualité qui conserva à l’hôtel de Bourgogne la