Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand on voyait une poignée de patriotes combattant des armées dix fois plus nombreuses, les vaincre ou périr avec honneur : quand, plutôt que de tomber au pouvoir de l’ennemi, des femmes périssaient les armes à la main, ou se précipitaient dans l’abîme, il n’y avait pas un cœur qui ne fût ému, pas un esprit qui conservât son indifférence et son impartialité. Qui se fût avisé alors de parler des vues secrètes de la Russie, ou de l’équilibre européen, n’eût été ni écouté ni compris. Qu’à tout prix la Grèce fût indépendante et libre, voilà ce que nous demandions tous.

Cependant trois grandes puissances sont intervenues, et la Grèce a conquis son indépendance. Presque aussitôt l’intérêt qu’elle inspirait s’est évanoui, et c’est à peine si l’on a daigné s’informer de ce qui s’y passait. Il y a plus, de 1832 à 1840, sans une certaine honte qui, les retenait bon nombre des anciens philhellènes auraient fait publiquement acte de contrition et abjuré la cause à laquelle ils s’étaient dévoués jadis. En 1824, la mode avait pris les Grecs sous sa protection ; en 1834, la mode se retirait d’eux et les déclarait surannés. Il paraissait piquant alors de préférer les oppresseurs aux opprimés, les mahométans aux chrétiens, les Turcs aux Hellènes, et de plaindre ce pauvre Ibrahim si méchamment chassé du Péloponèse par le maréchal Maison. Il semblait de bon goût de frapper la Grèce entière, hommes et choses, d’un anathème systématique, et de la condamner froidement et pour toujours à l’impuissance et à l’anarchie. Pas une vieille calomnie qui ne fût alors rajeunie et restaurée avec un soin tout particulier. N’allait-on pas jusqu’à contester aux Grecs leur bravoure et jusqu’à nier leurs victoires ? Quant à leur probité, il restait convenu qu’il n’y avait point un honnête homme parmi eux, et que, du dernier échelon au premier, la nation entière était à vendre.

Comment expliquer un changement si brusque et si complet ? Il serait injuste peut-être d’en accuser seulement la mobilité de l’esprit public ; mais les choses, on le sait, paraissent souvent belles ou laides, grandes ou petites, selon le point de vue d’où on les regarde. Tant que le combat dura, la grandeur, la beauté de la lutte effaçaient en quelque sorte tout ce qui pouvait en ternir l’éclat ; une fois le combat fini, il n’apparut plus, au milieu d’un pays dévasté et ruiné, que de misérables passions, que de honteuses rivalités, que de déplorables intrigues. Alors, par une réaction inévitable, on se mit à désespérer de ceux qui naguère inspiraient de si hautes, de si magnifiques espérances. Puis vint le gouvernement bavarois, dont l’inepte despotisme fit tomber les derniers restes du philhellénisme. Peut-être, en effet,