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Morée, beaucoup d’hommes riches et considérés ; mais parmi ces hommes, il faut se hâter de le dire, la Russie n’a pas beaucoup de complices. La majorité s’appuie sur elle par habitude, par calcul, par intérêt même, mais sans vouloir lui sacrifier l’indépendance nationale. Il serait insensé de vouloir, en la frappant d’un anathème systématique, lui enlever toute part au gouvernement. Les hommes principaux du parti russe sont M. Metaxas, ministre de la guerre pendant la guerre de l’indépendance, depuis ambassadeur à Madrid, et en 1843 président du conseil des ministres ; le prince Soutzo, chez qui la révolution de septembre s’est préparée ; M. Zographos, gendre du prince Soutzo, homme distingué, mais qui, jadis dévoué à l’Angleterre, comme il l’est aujourd’hui à la Russie, inspire peu de confiance aux divers partis ; le père Économos enfin, chef des philorthodoxes, et qui passe pour l’instrument docile de la Russie. Le général Kalergi était aussi un des membres les plus éminens du parti russe ; mais les derniers évènemens l’ont séparé de ses amis.

La formation du parti français est beaucoup plus récente que celle du parti russe ; tout au plus peut-on la faire remonter à l’hétairie révolutionnaire du poète Rhigas et à l’hétairie impériale de 1806 : ces deux hétairies disparurent trop vite et, trop complètement pour laisser des traces bien profondes. En 1821, au moment de l’insurrection, il n’y avait donc pas en Grèce de parti français proprement dit ; mais quand au récit des exploits et des désastres des insurgés, les sympathies s’éveillèrent à Paris et à Londres, quand de nombreux philhellènes accoururent de toutes parts au secours d’une nation malheureuse, quand trois grandes puissances jugèrent que les intérêts de la politique, aussi bien que ceux de l’humanité, exigeaient une prompte intervention, l’esprit si fin, si délié, si pénétrant des Grecs, s’aperçut bientôt que la France seule n’avait point d’arrière-pensée. Ni par sa situation territoriale, ni par sa position maritime, la France ne pouvait aspirer à l’héritage de l’empire ottoman, au protectorat des provinces démembrées de cet empire ; du moment que la Grèce cessait d’obéir au sultan, la politique française voulait donc qu’elle fût aussi grande, aussi forte, aussi libre, aussi indépendante que possible. Ses intérêts et ceux de la Grèce se trouvaient ainsi parfaitement identiques ? C’est cette conviction qui, malgré l’inaction des agens français, rallia bientôt autour de la France les patriotes les plus énergiques, les plus éclairés, les plus purs, ceux du moins qui n’étaient pas enrôlés d’avance et n’avaient pas de parti pris. C’est cette conviction qui fit qu’en Roumélie surtout, là où l’on