Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/315

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aller seuls à de telles puérilités ; l’imitation est tellement dans les instincts du comédien, qu’à moins d’une attention soutenue, on imite au théâtre le bien comme le mal. Dans le Pasquin de l’Homme à bonnes fortunes, Dazincourt, artiste décent et de bon goût, ne manquait jamais d’aller tordre son mouchoir trempé d’eau de Cologne sur la tête du souffleur. Cette grossièreté ayant attiré une fois un coup de sifflet, les spectateurs routiniers vengèrent aussitôt l’acteur en déclarant tout haut que ce jeu de scène avait toujours été pratiqué depuis un siècle. A une des dernières représentations du Bourgeois Gentilhomme, j’ai vu M. Jourdain, lorsque son maître d’armes lui dit : La main à la hauteur de l’œil, prendre l’alignement de son œil, comme s’il en tirait un fil, en écartant sa main horizontalement. Ce geste de niais, qui est un contre-sens, puisque M. Jourdain est un sot vaniteux plutôt qu’une bête, provient sans doute de la tradition : l’acteur, qui s’en est rendu coupable a trop d’esprit et de finesse pour l’avoir risqué de son chef. Je pourrais citer d’autres jeux traditionnels que les gens de goût condamnaient déjà il y a un siècle et qu’on pratique encore aujourd’hui.

De toutes les traditions du bon temps, la plus utile à notre époque serait un certain secret qui a été celui de tous les grands acteurs du siècle dernier, en Angleterre comme en France. Ils avaient le don de s’emparer des plus mauvais ouvrages, de les recomposer, d’en faire un poème dont ils devenaient les auteurs véritables, et avec lesquels ils attiraient le public « Il y a dans chaque rôle, disait Talma, deux ou trois vers qui en sont la clé, c’est là ce qu’il faut savoir saisir. » Ces deux ou trois vers, que les acteurs de génie savaient discerner dans de misérables rapsodies, les mettaient sur la voie d’un type à établir, d’un caractère à peindre. La pièce du pauvre poète disparaissait : .elle n’était plus qu’un cadre vulgaire destiné à recevoir un portrait de main. C’est ainsi que Molé, que Préville, ont trouvé moyen de créer d’une manière honorable pour eux et utile pour le théâtre cinquante à soixante rôles nouveaux dans des pièces inférieures à celles qui se font communément aujourd’hui. Lorsque les comédiens français, à défaut de pièces de grand style, empruntaient des ouvrages aux petits répertoires, il les élevaient jusqu’à eux par le style de leur exécution. Aujourd’hui, en admettant un genre inférieur, on n’évite pas assez de s’abaisser jusqu’à lui.

Un dernier mot sur les accessoires, dont on a fait sur beaucoup de scènes le principal élément du succès. Le premier réformateur des costumes, Lekain, s’écriait ; « N’usons du pittoresque qu’avec ménagement. »