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le sultan est obligé de subvenir. On voit quelle somme énorme entre tous les ans dans le trésor impérial enfoui à Méquinez. Ce trésor, renfermé dans une forteresse à triples remparts et recouverte de fer, qui se nomme le Beitulmel (le palais des richesses), doit être considéré comme la propriété particulière de l’empereur. C’est un corps spécial de deux mille nègres qui se charge de veiller à l’entour. L’intérieur du fort est divisé en chambres remplies de monnaies d’argent, et en cellules remplies de monnaies d’or. Pour arriver à chacune de ces chambres et de ces cellules, il faut se faire ouvrir cinq portes bardées de fer et fermées avec d’énormes serrures dont le sultan garde les clés. Rien de mystérieux comme l’intérieur de ce formidable Beitulmel, même pour les wasyrs et les favoris de l’empereur. Autrefois, avant de subir leur supplice, les condamnés à mort y allaient déposer les trésors amassés à Maroc, à Tétuan et sur les autres points de l’empire ; c’est Abderrahman qui, le premier, a négligé de prendre une si barbare précaution.

Nous avons sous les yeux les divers tarifs de cette douane qui donne au sultan ses revenus les plus sûrs ; nous sommes étonné, pour notre compte, que le commerce y puisse tenir. Il n’est presque pas d’objets dont les droits d’entrée ou de sortie n’absorbent la valeur. Aussi le gouvernement est-il obligé de consentir à des concessions envers quiconque les réclame, et il existe autant de tarifs qu’il peut y avoir de négocians. Ce ne sont pas, du reste, les marchandises seulement qui acquittent les droits de douane ; il est une classe de personnes qui, à l’entrée et à la sortie, est estimée ni plus ni moins que les tissus et les huiles : nous voulons parler des Juifs, qui paient en raison de leur âge, de leur santé, de leur sexe. Si les vieillards et les femmes sur le retour sont très faiblement taxés, en revanche les hommes vigoureux, les enfans, les jeunes gens, les jeunes femmes, sont soumis à des droits exorbitans. On conçoit qu’avec un pareil système de commerce et d’économie sociale, la contrebande prenne chaque jour des proportions effrayantes ; et comme le commerce est pour le sultan la plus claire source des revenus publics, on conçoit aussi que la contrebande soit très sévèrement réprimée. Outre la confiscation des marchandises, le contrebandier est roué de coups de bâton s’il est pauvre ; s’il est riche, on l’emprisonne, on le charge de chaînes, on le ruine à peu près complètement en amendes. En dépit de ces lois impitoyables, la contrebande se fait sur tous les points et presqu’au grand jour, surtout en ce qui concerne les monnaies étrangères, le duro espagnol excepté. Pour empêcher que le duro ne circulât en fraude, le sultan fut obligé de décréter que, dans tout le Maroc, il aurait la même valeur qu’en Espagne ; il avait jusque-là valu, au lieu de cinq pesetas, sept et demie, c’est-à-dire sept francs et demi environ Quant aux autres monnaies et, en général, quant aux marchandises étrangères, Abderrahman a trouvé un sûr moyen de ne point trop perdre aux entreprises des fraudeurs, et c’est tout simplement de s’y associer. Les contrebandiers du Maroc se divisent en deux classes bien distinctes : ceux qui, pour leur compte exclusif, s’exposent aux coups de feu des soldats du pacha, à la prison, à la bastonnade, et ceux dont