Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/545

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qu’ils touchent, même en suivant un faux système, car leurs erreurs sont des coups d’audace du génie où il y a encore à profiter, à moins d’être un de ces hommes privilégiés, il vaut mieux être un simple historien qui se borne à bien voir et à bien peindre. En histoire, avec des prétentions philosophiques, si vous n’êtes pas un grand philosophe, il y a à parier que vous serez un pauvre sophiste, et que vous offrirez le triste spectacle d’un écrivain de parti pris, qui, d’une main cruelle et maladroite, torture et déchire les entrailles du passé pour en extraire son système, mort ou vivant. Je n’ignore pas qu’un simple érudit peut être un sophiste, et un peintre de genre, un charlatan je n’ai qu’à ouvrir le yeux pour m’en convaincre. Il est certain cependant qu’avec la prétention philosophique de moins, on a plus de chances d’être impartial et de bonne foi. N’est-il pas vrai d’ailleurs que, plus que tout le reste, le goût de l’érudition et l’amour de la couleur invitent à remonter aux sources ? Or, comme la divinité du fleuve, la vérité historique réside à sa source, là seulement on peut la poursuivre avec l’espoir de l’atteindre. Si le siècle dernier l’a laissé échapper tant de fois ; c’est qu’il ne voulait pas remonter assez haut, et qu’il croyait pouvoir la saisir au passage. Aujourd’hui, sous ce rapport, le progrès est évident, et notre supériorité incontestable. Le moindre historien s’arme de courage, et, prenant son urne d’argile, va la remplir à la source bouillonnante, tandis que Voltaire se contentait souvent d’aller remplir la sienne à la fontaine du coin.

M. Audin, auteur d’une Histoire de Léon X, n’a pas voulu se soustraire aux nécessités de son temps, et ce n’est qu’après avoir remué beaucoup de documens et visité la plupart des bibliothèques d’Italie qu’il a écrit son livre. Ce que nous venons de dire de l’absence ordinaire, chez nos historiens, de la préoccupation philosophique ou religieuse, ne s’applique pas précisément à M. Audin. L’auteur de Léon. X professe des croyances religieuses, il le dit hautement ; mais c’est un esprit honnête et modéré, incapable d’emportemens à la de Maistre ou d’une pieuse fraude. Dès qu’il serait tenté d’aller trop loin, une sentinelle crie holà ! c’est sa conscience. Son livre est donc un livre sincère ; s’il n’est pas meilleur, s’il est médiocre, ce n’est pas la faute de l’écrivain, qui a fait évidemment de son mieux.

Après avoir tracé l’histoire de Luther et celle de Calvin, M. Audin arrivait naturellement à Léon X. Ce sont là de bien grands sujets, Rome et la réforme, l’Italie et la renaissance, et qui doivent écraser l’historien, s’il n’est pas doué de qualités hautes et rares ; il faut qu’il sache comprendre au même degré l’art et la politique, Machiavel et Michel Ange, les Médicis et l’Arioste, Guichardin comme Saint-Pierre de Rome et la Transfiguration. L’esprit humain est à un de ses plus heureux momens : le génie surgit de tous côtés, et le soleil de l’Italie éclaire pour la seconde fois une moisson de chefs-d’œuvre. D’autre part, toute la politique de l’Europe est en feu, et jamais plus mémorables intérêts ne furent agités dans le monde. Il faut donc, pour que le tableau soit complet, que l’historien puisse déployer toutes les magnificences de l’art et de la poésie, pénétrer en même temps les ruses de la