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ne pouvait prendre l’initiative révolutionnaire. La littérature fut dédaignée, la pensée méprisée, l’enseignement réduit à un apprentissage mécanique. Les avocats, qui, à Milan et à Venise, avaient pris une part active aux évènemens politiques, n’étaient plus que des avoués ou plutôt des fonctionnaires nommés par le gouvernement[1].

On ne pouvait mieux prévenir les tentatives du libéralisme : l’Autriche lui ôtait ses chefs au barreau, son influence dans l’enseignement, son initiative dans les municipalités ; elle lui ôtait même sa force vis-à-vis des classes pauvres en assurant un certain bien-être à la population, et ses griefs vis-à-vis des classes élevées en contenant le clergé et la noblesse. Le libéralisme, ainsi désarmé, n’était plus qu’une sorte d’enthousiasme poétique mêlé de folie. A l’exaltation révolutionnaire, devenue impuissante, l’Autriche opposait le flegme administratif de ses fonctionnaires et les baïonnettes d’une armée de serfs allemands. Sa police faisait le reste. Elle défendait les associations, quel qu’en fût le prétexte ; elle défendait les voyages aux hommes qui pouvaient jouer un rôle politique ; elle contrôlait toutes les polices italiennes de manière à être la mieux informée dans l’intérêt de tous les princes. Un tel système, appliqué avec persévérance, devait assurer à la longue le triomphe de la domination autrichienne. Encore aujourd’hui le cabinet de Vienne poursuit sa lutte contre les principes révolutionnaires avec une habileté qui ne se dément pas. Des tracasseries, des persécutions incessantes, font peser, sur l’Italie une terreur préventive qui démoralise le parti libéral et pervertit l’opinion. Parler politique dans un salon de Milan ou de Venise, c’est commettre une grande inconvenance ; demander les nouvelles du jour, c’est de l’indiscrétion ; médire du gouvernement, c’est se compromettre ; il est des mots qu’on ne prononce qu’à l’oreille des intimes, et on se garde même des intimes. – Mon fils, me disait un Lombard avec satisfaction, mon fils est studieux et prudent ; il n’a pas un ami.

Les princes italiens, faibles et violens, ne pouvaient se passer de la protection de l’Autriche, et celle-ci, en les modérant, en les dirigeant, doublait à la fois son crédit et sa puissance. Le roi de Naples, en rentrant dans ses états après la défaite des révolutionnaires, signait une centaine de condamnations capitales et replaçait Canosa au ministère

  1. L’avocat, sous le régime autrichien, n’exerce ni l’influence de la parole, car la parole lui est interdite en public, ni celle du patriotisme, puisqu’il ne doit pas se compromettre, s’il veut une nomination, ni même l’influence de la probité civique, car, pour avancer, il doit se déplacer de ville en ville, comme un juge, et quitter successivement les lieux qui ont pu l’apprécier.