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hommes ne pouvaient tendre qu’à s’exclure. M. de Villèle tenait M. de Chateaubriand pour un esprit indisciplinaire et chimérique, et lui-même n’était aux yeux de son illustre collège qu’un homme d’expédiens et d’affaires.

Le jour où M. de Chateaubriand, repoussé violemment dans l’opposition, redevint journaliste, la cause royaliste reçut une atteinte mortelle. Le système suivi par le gouvernement royal était donc mauvais, puisqu’il avait pour censeur celui qui avait écrit la broche de Buonaparte et des Bourbons ? N’était-il pas aussi prouvé qu’on pouvait entrer dans les rangs de l’opposition sans être un factieux, puisqu’on y rencontrait M. de Chateaubriand ? La détermination que prit l’auteur de la Monarchie selon la Charte de combattre vivement M de Villèle priva les Bourbons des forces que leur auraient prêtées l’expérience d’hommes non moins dévoués qu’habiles et l’ardent enthousiasme d’une partie de la jeunesse. Entre M. de Villèle et M. de Chateaubriand, les directeurs du Journal des Débats, MM. Bertin, n’hésitèrent pas, ils firent cause commune avec l’écrivain de génie, et lui livrèrent leur feuille. M. de Chateaubriand s’y surpassa ; son style s’y montra plus pur, plus empreint de l’esprit des affaires et toujours aussi vivant. D’un autre côté, la nouvelle attitude de M. de Chateaubriand avertissait la jeunesse royaliste de ne pas se dévouer aveuglément à la politique ministérielle. Les poètes nouveaux avaient célébré avec abandon, avec franchise les souvenirs et les espérances qui se rattachaient à la monarchie des Bourbons ; la muse lyrique deM. Victor Hugo avait été naïvement vendéenne ; M. de Lamartine avait chanté la naissance du duc de Bordeaux et le sacre de Charles X. Devant les fautes commises par le gouvernement royal, cette ardeur tomba bientôt. Les poètes royalistes de la restauration, nous parlons des meilleurs, M. de Lamartine, M. Victor Hugo, M. Alfred de Vigny, n’eurent plus de culte que pour l’art ; ils perdirent insensiblement leurs anciennes passions politiques dans le commerce des principaux représentans de l’école philosophique et critique dont le Globe était la tribune ; on se rapprochait, on échangeait des inspirations et des idées, on se fortifiait par le contraste même des travaux et des tendances. Cependant l’antique monarchie ne s’apercevait pas qu’elle s’aliénait le cœur de ses vieux et de ses jeunes amis, et qu’entre elle et toutes les forces vives de la France l’abîme s’agrandissait.

Pendant les cinq dernières années de la restauration, la presse légitimiste fut malhabile, violente et médiocre. M. de Chateaubriand n’était plus à la tête des écrivains qui défendaient le gouvernement ;