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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/65

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LE MAROC, SES MŒURS ET SES RESSOURCES.

contre les autres leurs parens ou leurs amis. Parmi ces femmes déjà un peu avancées en âge et délaissées par leurs maris ou leurs amans, se recrutent pour la plupart les prostituées du Maroc. Il n’en est pas sous ce rapport du Maroc comme les autres pays musulmans ; la prostitution y est, moyennant tribut, non-seulement tolérée, mais autorisée. Pour en finir avec ce triste chapitre, nous ajouterons que les femmes perdues du Maroc, même quand elles sont arrivées au dernier degré de la corruption et du vice, refusent obstinément de se livrer aux chrétiens, aux juifs, à tous les étrangers enfin. Parfois pourtant d’elles-mêmes elles s’efforcent de les attirer dans leurs repaires, mais ce n’est que pour les abandonner au rebut de la société maure, et les malheureux y ont presque toujours laissé leur vie.

L’éducation des hommes n’est guère moins négligée que celle des femmes. Il est vrai que dans toutes les mosquées il existe une sorte d’enseignement mutuel présidé par un prêtre ; mais ce prêtre s’imagine avoir accompli sa tâche, quand, à force de cris et de coups de bâton, il est parvenu à graver dans la mémoire des écoliers une centaine de versets du Koran, que lui-même souvent serait hors d’état d’expliquer. On n’apprend à écrire et à calculer qu’à ceux qui se destinent à la cléricature et aux charges de cadi, de notaire ou de secrétaire du cadi. D’aucune façon, le gouvernement ne se préoccupe de l’éducation publique : il y a quelques années, des commerçans européens fondèrent à Tétuan un collége où ils admirent les enfans des Juifs et des Maures ; mais la cour de Fez ne tarda point à prendre l’alarme, et le collége fut supprimé. Les actes officiels sont rédigés en arabe littéral, ou, si l’on veut, dans la langue du Koran ; pourtant c’est à peine si quelques personnages, connus sous les noms de fekis, de tolbas, de sages du Koran, sont capables de parler et d’écrire cette langue ; le peuple entier ne parle que les dialectes barbaresques aux sons gutturaux, aux rudes, et criardes syllabes. L’usage de l’imprimerie n’ayant point encore pénétré dans une seule des villes de l’empire, tout s’écrit à la main, mais de la façon la plus nette du monde et sur du papier excellent. Si jamais ce pays est pleinement ouvert à l’Europe, la médecine, la philosophie, l’histoire, les sciences diverses, y feront de précieuses conquêtes, car dans toutes les mosquées, dans presque toutes les maisons, dans presque toutes les familles maures habitant les villes, on trouvera un nombre infini de manuscrits qui remontent aux plus belles époques de la civilisation musulmane. On sait combien, jusque vers le commencement du XVIIe siècle, les Arabes tenaient à leurs richesses intellectuelles ; on sait quelles sommes énormes les sultans de Fez et de Maroc offraient aux rois d’Espagne pour les livres que leurs ancêtres avaient été forcés d’abandonner à Grenade. Venue des sables lointains du Tafilet, où jamais n’a pénétré la civilisation orientale, la dynastie actuelle a porté le dernier coup aux lettres arabes et aux sciences. Il y a quelques années à peine, il y avait dans la mosquée de Carubin une grande bibliothèque renfermant les plus précieux trésors de cette civilisation. Sous Soliman, sous Abderrahman lui-même, livres de poésie, de philosophie, d’histoire, livres