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villes manufacturières : on réserve pour les machines de luxe des constructions et l’étendue ; les hommes s’entassent, comme ils peuvent, dans quelque coin infect, privé d’air et de soleil. Dans un faubourg où les terrains ont comparativement peu de valeur, les classes laborieuses vivent aussi misérablement logées que dans les bas-quartiers de la rue Saint-Denis et des Arcis. Par une conséquence nécessaire, on y rencontre, avec la même abondance, les maisons de prostitution et les cabarets. Pas plus que la santé de l’homme, la vertu ne peut se passer d’un air libre et pur.

Le plus grand nombre des ateliers échappent, par leur division même, à l’action de la loi qui règle le travail des enfans. Une industrie tout entière, une industrie importante, une industrie essentiellement parisienne et qui a pris domicile dans ces quartiers, l’ébénisterie par exemple, en est affranchie. Le chiffre des fabriques soumises à l’inspection varie entre trente et quarante ; elles ne comptent jamais moins de 350 enfans de huit à seize ans, ni plus de 600 sur 2,000 à 2,500 ouvriers. Ce sont des manufactures de papier peint, des fabriques de bronze, des filatures de coton, des fabriques de châles et de tapis. La loi ne s’appliquant qu’aux ateliers qui renferment plus de vingt ouvriers, et le nombre des ouvriers employés augmentant ou diminuant selon la saison, il arrive fréquemment que l’accès de certaines fabriques s’ouvre à l’inspection pendant l’hiver et se ferme pendant l’été. Les enfans se trouvent ainsi protégés durant la moitié de l’année et abandonnés durant l’autre moitié. L’instruction devient pour eux tantôt obligatoire et tantôt facultative ; la durée du travail s’abrége où s’étend ; l’exercice du droit attribué à l’état dépend entièrement du hasard, et suit en quelque sorte les oscillations du marché.

Pour obvier à cet inconvénient, il suffirait que l’administration, interprétant la loi dans le sens le plus large, déclarât que tout atelier qui aurait réuni à un jour donné plus de vingt ouvriers doit rester soumis à l’inspection alors même que ce niveau viendrait plus tard à baisser. Mais le vice le plus radical de la loi tient à la limite même qu’elle a posée. Ce partage de l’industrie en agrégations de plus de vingt ouvriers et en agrégations de moins de vingt ouvriers ne répond à rien. Les choses ne se passent ainsi dans la réalité. Tout ce qui est travail de fabrique hors de Paris agglomère les hommes et les enfans par centaines ; à Paris, un atelier de quinze à vingt ouvriers est déjà une manufacture, et sort de l’humble sphère de l’artisan pour s’élever aux proportions de l’ordre industriel. Le législateur s’est préoccupé ici sans nécessité des analogies empruntées à la loi pénale ;