Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le représente au Maroc aurait la pensée d’entreprendre, ce qui n’est pas et ne peut pas être, l’œuvre malheureuse tentée par le sultan Mahmoud à Constantinople, qu’il succomberait, sans aucun doute, à la lutte ; sans aucun doute il y perdrait le pouvoir, et peut-être la vie. C’est par la civilisation européenne que doivent se régénérer ces petites sociétés maures et arabes ; c’est la civilisation européenne qui, les attirant, ou, pour mieux airé, allant à elles et les pénétrant chaque jour davantage, doit parvenir à les reconstituer.

Il n’est pas de peuple au monde qui, plus facilement, s’assimile une civilisation étrangère que l’Arabe ou le Maure, du moment où ses préventions fléchissent, du moment où il se décide à s’y plier. A la fin du dernier siècle, un Maure de Maroc, de cette ville où se sont le plus conservés profonds et vivaces les vieux préjugés du mahométisme, El-Ghazal, fut chargé par le sultan d’aller en Espagne régler quelques affaires commerciales. Les négociations traînant en longueur, El-Ghazal séjourna quatre ans à Madrid. A son arrivée, El-Ghazal était un vrai musulman des temps de barbarie et d’ignorance, superstitieux comme un tolba, fanatique ni plus ni moins qu’un soldat de l’almagasen. A son départ, on l’eût à peine distingué, pour les manières et le savoir-vivre, des plus élégans seigneurs de la cour de Madrid. Pendant son séjour dans la péninsule, Ahmad-Bel-el-Mohedi-el-Ghazal composa, sur les mœurs de l’Espagne et sur les opinions qui alors y dominaient, un livre plein de judicieuse malice. Admirateur enthousiaste du génie de Montesquieu, El-Ghazal adopta le plan des Lettres Persanes ; son livre, qu’il écrivit en arabe et en espagnol, et qui du reste est demeuré inédit, a pour titre les Lettres d’un Marocain. Le texte espagnol s’est perdu ; mais le texte arabe subsiste : c’est le Musée britannique de Londres qui possède le manuscrit d’El-Ghazal. Un consciencieux écrivain de Madrid, qui en a pris une copie exacte, le traduit en ce moment ; on saura bientôt, nous l’espérons, comment, sans renoncer a l’originalité primitive de son caractère, un Arabe du Maroc peut devenir Européen. M. Calderon a la conviction qu’aujourd’hui même dans ce pays plus d’une intelligence élevée, plus d’un cœur généreux ; ne tarderaient point à se produire, si les Maures des principales familles, pachas, cadis, wazyrs, docteurs de la loi, pouvaient être, comme El-Ghazal, initiés aux mœurs et aux idées de l’Europe. Par là, ce nous semble, il est facile de voir quels moyens on peut employer afin que ces idées et ces mœurs prennent elles-mêmes possession du pays maure. Pour les y installer, il n’est pas nécessaire de recourir à l’occupation armée, qui, durant des siècles peut-être, soulèverait contre nous les populations, et entre les puissances européennes pourrait provoquer des divisions interminables. Il suffirait de conventions nettes et précises qui, au profit de toutes les nations, et au profit du Maroc surtout, livreraient l’empire au commerce du monde par la Méditerranée, par l’Océan par les gorges algériennes de l’Allas. Il faut abattre enfin ces barrières que nous opposent les douanes des villes maritimes ; ces tarifs arbitraires, établis, depuis le temps où l’Afrique musulmane se complaisait à humilier et à rançonner les princes chrétiens, ne peuvent plus se