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les filous. Après les mauvais traitemens venait la dégradation ; le système était complet.

Certes le régime de tous les petits ateliers ne ressemble pas à cette horrible histoire ; mais on peut la considérer comme un type, quoique dans l’excès. Le trait le plus général de l’industrie parcellaire, c’est l’oppression des apprentis. Cet état de choses se prouverait au besoin par le nombre des plaintes sur lesquelles les juges de paix de la capitale sont chaque jour appelés à prononcer ; mais il se révèle bien plutôt par les égaremens dans lesquels tombe la jeunesse à Paris. Les enfans du peuple, maltraités de tant de manières, prennent en dégoût l’atelier et le travail. Le vagabondage, avec sa liberté qui console de sa misère, devient pour eux une séduction irrésistible. Ceux qui ne meurent pas à la peine et qui sont las de souffrir vont battre le pavé ; le jour, ils se groupent autour des marchés et des théâtres ; la nuit, ils dorment dans la baraque de quelque étalagiste, dans les carrières ou sous l’arche d’un pont. En fin de compte, c’est la prison qui les reçoit, et voilà comment le département de la Seine compte à lui seul près de six cents jeunes détenus.

La responsabilité du législateur est intéressée, à faire cesser de pareils désordres. On a voulu limiter le travail et assurer l’instruction des jeunes ouvriers dans les manufactures ; la même sollicitude doit se porter sur les enfans employés dans les petits ateliers et chez les artisans. Une loi qui détermine les conditions générales de l’apprentissage est peut-être le besoin le plus impérieux de l’industrie. Ces conditions restent encore en blanc dans nos codes ; la loi du 22 germinal an XI, la seule qui s’en occupe, se borne à déclarer que le contrat peut être résolu soit par les mauvais traitemens du maître, soit par le refus de travail de la part de l’ouvrier ; elle laisse au père ou au tuteur de l’enfant le soin de stipuler ses intérêts, même ceux qu’aucun gouvernement civilisé n’abandonne au libre arbitre des individus ; je veux parler de la morale et de l’enseignement.

Il serait difficile de préciser dans une loi tous les devoirs de l’apprenti à l’égard du maître et ceux du maître à l’égard de l’apprenti. Heureusement cela n’est pas nécessaire. Il suffit de déclarer à quelles conditions le père de famille pourra désormais déléguer à un étranger l’autorité qu’il exerce de droit naturel sur ses enfans. La loi sur l’instruction primaire prend ces garanties pour les parens en faisant passer l’instituteur par certaines épreuves et en lui donnant un caractère public. La loi d’apprentissage atteindra le même but, en ordonnant que tout engagement de ce genre soit libellé par écrit, et que