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tant d’avantages, t’accorde de longues années semées de fleurs et de joie ! tu es digne de toutes les prospérités… » La voix fatidique s’interrompt, et voici que se plaint et verse de tendres pleurs celle dont la naissance réjouit le monde. Les trois Graces s’asseyent près de l’enfant, et pour rappeler le sommeil qui s’est enfui, elles agitent doucement le berceau, en murmurant d’une voix suave :

« Fuyez loin d’ici, Heures maudites[1] ? n’apparais jamais ici, Fortune contraire ! accourez toutes, heureuses conjonctions du ciel propice venez voir cette beauté, cette merveille, dont la renommée remplira le monde. Image du créateur dans la créature, tu triompheras de tous les cœurs, toi qui viens de naître parée de mille dons et de mille charmes… »

Ces chants harmonieux enlacent de nouveau dans un doux sommeil les membres délicats de Lianor. Alors s’évanouissent leés incorporelles et vaporeuses apparitions. Perdues au milieu de l’air, elles s’effacent tout à coup, laissant le vaste palais dans l’allégresse et resplendissant d’une éclatante lumière… Peu d’instans s’écoulent : trois figures lugubres leur succèdent ; elles pénètrent ensemble dans l’appartement Leur front est d’une pâleur livide, leur tête est hérissée de couleuvres ; toutes trois poussent des cris qui glacent le sang ; ce ne sont plus des chants de fêtes, ce sont des accens lugubres qui ne présagent que des malheurs : « Graces joyeuses, fuyez ! fuis, bonheur, loin de cet enfant qui ne vient au monde que pour être le sujet d’une tragique histoire ! Que la mort cruelle, farouche, inexorable, perce de ses traits ce sein charmant, ce sein d’albâtre ; qu’après une catastrophe horrible, affreuse, irréparable, Lianor succombe misérablement ! Nous voulons qu’entre toutes les femmes qui ont souffert et qui ont bu jusqu’à la lie la coupe de la douleur, celle-ci soit la plus malheureuse… » : Après cette imprécation terrible, elles approchent du berceau et en font trois fois le tour, en effeuillant au-dessus les noirs rameaux du cyprès funèbre et de l’if mélancolique ; puis elles fuient toutes trois, laissant la chambre infectée de leur venin.

Cependant Lianor grandit, et le poète se complaît à décrire, sa merveilleuse beauté dans une foule de gracieux détails qui rappellent le pinceau d’Ovide ou de l’Albane. Les plus nobles, les plus vaillans chevaliers aspirent son cœur et ambitionnent sa main. Le plus digne,

  1. Ce chant lyrique est écrit en octaves rimées ; le corps du poème, au contraire, est, comme l’Italia liberata du Trissin, en vers blancs hendécasyllabes. Cela prouve que Corte Real suivait beaucoup plus l’influence de l’Italie que l’exemple fort récent de Camoens.