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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/814

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REVUE DES DEUX MONDES.

Les bois fournis par ces 10,300 hectares pourvoiraient à l’un des principaux besoins de la marine locale et des villes environnantes ; la preuve en est dans les immenses importations de bois de Suède, de Norvège et de Russie, qui se font sur le littoral. Le boisement des dunes peut-il s’effectuer sans le concours de l’administration et sans l’application des principes de solidarité qui sont la base de la législation sur le dessèchement des marais et les endiguages ? C’est une question dont l’examen nous conduirait trop loin, mais que l’expérience a jusqu’ici résolue négativement.

Au débouché du vallon creusé dans la dune par l’émissaire de l’étang de Camiers, se découvre une vaste plage grisâtre bornée au sud-ouest par un autre rideau de dunes. C’est la baie d’Étaples à mer basse. Rien n’est sinistre comme l’aspect de cette plaine de sable humide, encadrée dans des montagnes de sable sans habitans et sans verdure, enveloppées la moitié de l’année dans une brume épaisse. Aucune côte n’a vu plus de naufrages que celle derrière laquelle se replie l’embouchure de la Canche. En arrivant à la limite de la haute mer, nous nous heurtâmes contre une pièce de la carcasse du Conqueror, qui attend là qu’un autre naufrage jette auprès d’elle le complément du chargement d’une chaloupe. Le Conqueror était un magnifique vaisseau de la compagnie des Indes ; il revenait de Calcutta chargé des plus riches produits de l’Asie, et touchait au terme d’un si long voyage. Le 15 janvier 1843, avant le jour, le canon d’alarme se fit entendre à Étaples, au milieu du bruit de la pluie et des vents. La population, guidée par les coups qui se succédaient, se porta vers la pointe du Touquet, et l’on aperçut à la sombre clarté du jour naissant un navire dont l’avant avait donné dans le sable ; la dunette s’élevait seule au-dessus des flots, et cent cinquante malheureux s’y pressaient, tendant les bras, les uns vers la terre, les autres, mieux instruits, vers le ciel. Nos gens firent des efforts inouis pour établir des moyens de sauvetage. Cependant la mer montait, le vent d’ouest roulait d’énormes lames, et chacune balayait un rang des naufragés ; il en vint une plus forte que les autres, et, quand elle s’étala, le groupe avait disparu, la dunette était déserte. Un seul être fut jeté vivant sur la plage, c’était un domestique. Le 11 novembre précédent, le Reliance, autre navire de 800 tonneaux, appartenant aussi à la compagnie des Indes, périt de même au même lieu, et le maître charpentier avec trois matelots malais furent seuls sauvés. Ils rapportèrent que lorsque le capitaine avait reconnu les feux de la Canche, il avait dit à voix basse qu’il ne restait plus qu’à périr. C’est qu’en effet ces feux d’échouage, qui sont pour