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Bertin dans son Voyage de Bourgogne, une douzaine de jeunes militaires dont le plus âgé ne compte pas encore cinq lustres ; transplantés la plupart d’un autre hémisphère ; unis entre eux par la plus tendre amitié ; passionnés pour tous les arts et pour tous les talens, faisant de la musique, griffonnant quelquefois des vers ; paresseux, délicats et voluptueux par excellence ; passant l’hiver à Paris, et la belle saison dans leur délicieuse vallée de Feuillancour[1] ; l’un et l’autre asile est nommé par eux la Caserne… » Et Parny, au moment où il venait de se séparer de cette chère coterie, écrivait à son frère durant les ennuis de la traversée : « … Mon cœur m’avertit que le bonheur n’est pas dans la solitude, et l’Espérance vint me dire à l’oreille : Tu les reverras, ces épicuriens aimables, qui portent en écharpe le ruban gris de lin et la grappe de raisin couronnée de myrte ; tu la reverras cette maison, non pas de plaisance, mais de plaisir, où l’œil des profanes ne pénètre jamais… » C’est ainsi, Je le soupçonne, si l’on pouvait y pénétrer, que commencent bien des jeunesses, même de celles qui doivent se couronner plus tard de la plus respectable maturité ; mais toutes ne s’organisent point aussi directement, pour ainsi dire, que celle de Parny pour l’épicuréisme et le plaisir. Son prétendu Fragment. d’Alcée, confesse ouvertement quelques-unes des maximes les plus usuelles de ce code relâché :

Quel mal ferait aux Dieux cette volupté pure ?
La voix du sentiment ne peut nous égarer,
Et l’on n’est point coupable en suivant la nature…
Va, crois-moi, le plaisir est toujours légitime,
L’amour est un devoir, et l’inconstance un crime

[2]

Les murs de la Caserne pouvaient être couverts et tapissés de ces inscriptions-là comme devises. Dans la Journée champêtre, l’un des premiers poèmes qu’il ait ajoutés à ses élégies, Parny n’a fait probablement que traduire sous un léger voile une des journées réelles, une des formes de passe-temps familiers en ces délicieux réduits : les couples heureux se remettaient à pratiquer l’age d’or à leur manière et sans trop oublier qu’ils étaient des mondains[3]. Ces jeunes créoles,

  1. Feuillancour, entre Marly et Saint-Germain.
  2. On lit dans la première édition (1778) ce vers beaucoup plus conforme à la pensée du poète :

    L’amour est un devoir, l’ennui seul est un crime.

  3. Cette interprétation très vraisemblable de la Journée champêtre se trouve dans la belle et excellente édition des Œuvres choisies de Parny, de Lefèvre, 1827 ; on croit y reconnaître à mainte page la plume exacte et exquise qui, dit-on, y a présidé (M. Boissonade).