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très-noble, et l’âge lui avait dessiné un profil qui rappelait, par instans, celui de Voltaire, mais un profil bien moins accusé, très fin, et qu’Isabey a si délicatement touché de son crayon. A considérer l’original de ce portrait, je songeais qu’il en est un peu jour nous du talent de Parny comme de ce profil, et qu’il a besoin d’être bien regardé pour qu’on en saisisse aujourd’hui le trait léger, le tour presque insensible. L’aimable Isabey, que j’interroge, traduit lui-même et complète d’un mot mon impression en du visage et de la physionomie de Parny : C’état un oiseau. Parny, comme on peut croire, avait le ton de la meilleure compagnie ; point de bruit, point de fracas, rien de tranchant. Il parlait, ai-je dit, avec un petit défaut de prononciation : c’était un parler un peu court, un peu saccadé, pourtant agréable et doux ; quand il s’animait, son feu se faisait jour, et sa conversation, sans y viser arrivait au brillant et au charme. À ces sorties trop rares, on sentait que le poète en lui aimait à se retirer au dedans, mais qu’il n’avait pas péri.

Parny mourut le 5 décembre 1814, avant d’avoir pu même entrevoir le déclin et l’échec de sa gloire. Sa mort, au milieu des graves circonstances publiques, excita de sensibles, d’unanimes regrets, et rassembla, un moment, tous les éloges. Comme on avait perdu Delille l’année précédente, on remarquait que c’était ainsi que, dans l’antiquité, Virgile et Tibulle s’étaient suivis de près au tombeau. Certes, Parny était bien, en toute légitimité, un cadet de Tibulle, comme il s’intitulait lui-même modestement, tandis que Delille n’était au plus que l’abbé Virgile. Béranger, alors à ses débuts, pleura Parny par une chanson touchante et filiale ; elle nous rappelle combien son essaim d’abeilles, avant de prendre le grand essor et de s’envoler dans le rayon, avait dû butiner en secret et se nourrir au sein des œuvres de l’élégiaque railleur. Il est à croire que, si l’on avait conservé quelques-unes de ces élégies toutes premières de Lamartine qui ont été jetées au feu, on aurait le lien par lequel ce successeur, trop grand pour être nommé un rival, se serait rattaché, un moment, à Parny. — Voilà tout ce qu’il m’a été possible de ramasser et de combiner ici sur le gracieux poète, trop long-temps oublié de nous ; et je n’ai voulu autre chose, en produisant ces divers souvenirs et ces jugemens, que lui apporter en définitive un hommage, de la part d’un de ceux-là même qui eussent le moins trouvé grace devant lui.


SAINTE-BEUVE.