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à les invoquer même en les maudissant, tant elle persiste à les considérer comme la source, l’origine, l’initiative nécessaire de tout bien. Aussi, sommes-nous disposé à croire, que malgré les symptômes effrayans qui se manifestent, malgré cette fièvre dont les accès se pressent avec une intensité redoublée, il serait encore temps d’arrêter l’invasion du jacobinisme et du communisme par des concessions sérieuses et sincères, par l’accomplissement de promesses échappées à des lèvres augustes, dont les paroles devraient toujours se traduire en faits. Une large part accordée au besoin de publicité, devenu général en Europe ; une tribune, une presse libres, seraient à coup sûr de meilleurs remparts pour le trône que des citadelles sur le Rhin et des prisons en Silésie[1]. Moins de méfiance et de mauvais vouloir dans les rapports avec la France, moins de condescendance et d’empressement pour le despote moscovite, rassureraient le pays et seraient les signes mille fois bienvenus d’une volonté véritablement libérale. Ces espérances de conciliation seraient-elles chimériques ? Nos sympathies pour l’Allemagne nous les font-elles accueillir d’un esprit trop crédule ? Ce sont là des question d’un avenir assez prochain devra trancher.

Mais revenons aux deux poètes :

On a pu s’en convaincre par les citations que nous en avons faites, il y a un abîme entre la profession de foi de M. Ferdinand Freiligrath et celle de M. Henri Heine. D’un côté, nous trouvons l’expression emphatique d’un sentiment débile qui se gonfle avec effort, de l’autre la prodigue incurie d’une verve intarissable, d’une muse tapageuse et dévergondée qui s’ébat sans grand souci de sa robe bariolée à travers carrefours et rues, jetant, comme les masques du carnaval romain, tantôt des fleurs, tantôt des dragées de plâtre à la face des passans qui rient de ses incartades. Les critiques délicats reprochent à M. Henri Heine d’offenser trop souvent les règles de la bienséance et du goût. Il a répondu à cette accusation, en plusieurs endroits de ses écrits, par des rapprochemens où la vanité d’auteur s’exprime avec une singulière franchise. Dans la préface de ce nouveau volume, il pourrait, dit-il, s’autoriser d’Aristophane, qui parlait devant un public de classiques. Toutefois les Athéniens étant des païens sans aucune notion de morale, il préfère ne citer en exemple d’une licence au moins égale

  1. Un grand nombre d’ouvriers silésiens viennent d’être condamnés pour tumulte, dit le jugement rendu, à six et neuf ans de zuchthaus (prisons et travaux forcés).