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voué, qui n’attend plus que votre réponse pour savoir s’il doit vivre ou mourir.

« Raoul. »


Ramenée violemment au sentiment de la réalité, Hélène n’hésita pas plus que Raoul n’avait hésité. Après être sortie de l’espèce de stupeur dans laquelle venait de la jeter la lecture de ces quelques lignes elle courut à son appartement, et là, étouffant sans faiblesse le rêve d’une heure au plus, rayon éteint aussitôt qu’entrevu, fleur brisée au moment d’éclore, elle prit une plume pour écrire elle-même, et signer l’arrêt de mort de son propre bonheur ; mais, n’en trouvant pas le courage, elle se contenta de mettre ses lettres sous enveloppe et de les renvoyer immédiatement à Raoul. Cela fait, elle cacha sa tête entre ses mains, et ne put s’empêcher de verser quelques larmes, bien différentes, hélas ! de celles qu’elle avait répandues le matin. Cependant sous la mélancolie d’un vague regret à peine défini, elle sentit bientôt une sourde inquiétude remuer et gronder dans son sein. En lisant d’un seul regard le billet de M. de Vaubert, elle n’avait vu clairement et nettement compris qu’une chose, c’est que ce jeune homme la rappelait solennellement à la foi jurée sous peine de parjure et de trahison ; dans l’exaltation de sa conscience, Hélène avait négligé le reste. Une fois apaisée par le sacrifice, l’esprit plus calme et les sens plus rassis, elle se remémora peu à peu quelques expressions de la lettre de son fiancé, auxquelles sa pensée ne s’était pas arrêtée d’abord, mais qui avaient laissé en elle une impression confuse et pénible. Tout d’un coup, ses souvenirs se dégageant et devenant de plus en plus distincts, elle prit entre sa robe et sa ceinture le billet de Raoul, qu’elle avait glissé là, sans doute pour défendre et protéger son cœur ; et, après l’avoir relu attentivement, après avoir pressuré chaque mot et creusé chaque phrase pour en faire jaillir la lumière, Mlle de La Seiglière le relut encore une fois ; puis, passant insensiblement de la surprise à la réflexion, elle finit par s’abimer dans une méditation profonde.

C’était un esprit pur, un cœur pieux et fervent ; une âme immaculée qui n’avait jamais touché, même du bout des ailes, aux fanges de la vie. Toutes les illusions habitaient dans son sein. Elle croyait au bien naturellement, sans effort, et n’avait jamais soupçonné le mal. Pour tout dire en un mot, telle était sa naïve candeur, qu’il ne lui était pas arrivé de suspecter là loyauté, la bonne foi et le désintéressement de Mme de Vaubert elle-même. Toutefois, depuis l’installation de Bernard, elle avait compris vaguement qu’il se tramait autour d’elle quel-