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tressaille, il se presse…, il arrive au moment où dona Lianor va franchir le dernier passage. Il la voit qui, promenant autour d’elle sa vue trouble et incertaine, ne cherche que lui, ne demande que lui, et, comme elle voit qu’il est arrivé, son ame reprend un peu de force et de calme. Elle voudrait lui dire adieu, mais déjà la mort tient sa langue enchaînée ; ses regards se fixent sur le visage attristé de cet unique ami qu’elle va quitter. Elle voudrait l’embrasser, et, ne le pouvant pas, elle se penche et retombe sur la terre avec une douleur poignante.

Enfin la mort étend son ombre sur cette figure angélique, déjà se sont évanouies pour jamais les roses de ce visage enchanteur ; déjà sa blanche main est glacée et sans mouvement Son sein d’ivoire ne palpite plus. On dirait la chaste image de Diane sculptée jadis par le ciseau de Phidias. Elle est tombée sous les coups du temps, la belle statue, et elle gît au milieu des décombres ; mais en elle tout encore est beau, quoique inanimé. Ainsi sur la plage déserte gît le corps de Lianor plus éclatant que le marbre et que la neige. Un cri a retenti ; il monte vers le ciel : ce sont les fidèles servantes de Lianor qui gémissent et se meurtrissent le sein et le visage. Anéanti par la douleur, l’infortuné capitaine tombe auprès du corps de sa compagne bien-aimée. Il tient ses yeux attachés sur cette beauté qui n’est plus, il pense au terme fatal où son bonheur s’est brisé ; il songe à ses joies passées qui sont maintenant des tortures ; il reste long-temps dans ce douloureux engourdissement. Enfin il se lève, il marche en silence, il pleure ; puis il cherche sur le rivage la place la plus favorable ; il écarte de ses mains le sable blanc, il ouvre une étroite fosse ; il retourne ensuite à l’endroit qu’il a quitté et prend dans ses bras affaiblis ce corps froid et sans mouvement. Les femmes esclaves l’aident dans ce dernier et funèbre hommage. Avant de laisser Lianor dans son éternelle et sombre demeure, toutes arrosent le sable de leurs larmes amères et poussent en s’éloignant une triste clameur, un suprême adieu.

Lianor ne reposent pas seule dans cette couche silencieuse ; un de ses tendres enfans reste à côté d’elle. Il n’a joui que pendant quatre années de la lumière du jour ; la cinquième a été interrompue par la mort. La mère et l’enfant expirés dorment tous deux sous la même terre Elle ne lui présentera plus son sein si blanc qu’il caressait de ses lèvres, elle ne lui donnera plus le doux baiser maternel ; ils reposeront tous les deux sous la grève solitaire, ensevelis près des vagues irritées, rare et déplorable exemple des coups de la fortune. Je ne sais si je me trompe, mais je ne me rappelle pas avoir vu ailleurs de funérailles plus déchirantes, si l’on excepte celles d’Atala.