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portion du tube digestif remplit d’une manière quelconque les fonctions d’un appareil de vaisseaux, quel qu’il soit. Ainsi entendu, le phlébentérisme se retrouve chez un grand nombre d’animaux qui n’appartiennent pas à l’embranchement des mollusques. Nous en citerons un exemple. On trouve sur les bords de la mer de petits crustacés appelés pycnogonides, dont le corps est très grêle et les pattes très longues, ce qui leur donne quelque ressemblance avec certaines araignées des champs. Eh bien ! chez eux ; l’intestin proprement dit est excessivement étroit, mais il envoie dans chaque patte un prolongement considérable qui arrive presque jusqu’à leur extrémité. C’est comme si, chez l’homme, l’estomac pénétrait jusqu’au bout des jambes et des bras. Chez ces animaux singuliers, il n’existe aucune trace des appareils respiratoire et circulatoire. N’est-il pas évident que l’organe de la digestion est chargé de porter dans le corps tout entier les fluides réparateurs destinés à l’entretien de la vie, et qui exsudent au travers de ses parois ? Par conséquent l’intestin remplit ici des fonctions qui d’ordinaire appartiennent aux artères et aux veines. Les pycnogonides sont des crustacés phlébentérés, C’est là un des mille exemples de cette variété de moyens que la nature emploie pour résoudre les problèmes qu’elle semble prendre plaisir à se poser ; mais les faits de cette nature ne sauraient se voir sur des animaux macérés dans l’alcool, et nous comprenons sans peine qu’ils paraissent incroyables aux naturalistes dont les courses scientifiques se bornent à parcourir en pantoufles et en robe de chambre les galeries de leurs collections.

Les résultats si importans annoncés par MM. Milne Edwards et Valenciennes n’ont, du reste, pas tardé à recevoir de nombreuses confirmations. M. Pouchet de Rouen annonça avoir vu des faits entièrement semblables sur les limaces et les avoir déjà publiés en partie. M. Van Beneden de Louvain, bien connu par de nombreux travaux sur les animaux marins, accepta franchement le mot de phlébentérisme avec toutes ses conséquences ; M. Owen, le plus célèbre anatomiste d’Angleterre, publia des détails d’organisation qui, regardés d’abord par lui comme entièrement exceptionnels, rentraient pleinement dans les doctrines émises par les académiciens français. Enfin arriva de Saint-Pétersbourg l’extrait d’un mémoire dû à M. Nordmann, un des plus habiles micrographes d’Europe. Le savant professeur d’Odessa avait aussi étudié par transparence, à l’aide du microscope, un de nos phlébentérés trouvé par lui dans les mers de Crimée, et ses observations s’accordaient presque complètement avec les nôtres, confirmaient entièrement les vues générales de MM. Milne Edwards et Valenciennes.

Ainsi, chez tous les mollusques, l’appareil circulatoire est incomplet. C’est là le fait général et le seul essentiel ; car qu’il en manque le tiers, le quart ou le dixième, dès l’instant qu’il y a interruption dans le cercle des vaisseaux destinés à le renfermer, le sang tombe dans l’espace laissé libre par les organes, et la circulation devient lacuneuse. Or c’est précisément ce que naguère, en parlant des phlébentérés, on déclarait contraire à tous les principes,