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Admettant la corruption incurable de la vieille aristocratie anglaise et la misère des masses, et prenant pour vrais, ce qui serait assurément fort contestable, tous les tableaux que M. d’Israëli a exposés à nos yeux, quelles sont les conséquences de la situation, et comment peut-on les corriger ? En s’adressant, dit M. d’Israëli, à l’héroïque jeunesse de l’aristocratie. Quoi ! à cette jeunesse affadie, blasée, incapable de résolutions hardies et de pensées graves que vous avez si bien peinte dans le roman même ? C’est à elle que vous avez recours ! Ainsi vous séparez les jeunes générations des générations vieillies, nous donnant les premières pour pures, les secondes pour impures, comme si le flot qui suit pouvait s’isoler du flot qui précède ! Sans reconnaître que c’est la même couleur, la même pente, le même mélange, que ce sont les mêmes élémens constitutifs, par une absurde hypothèse vous voulez que ce « cadet d’une grande famille de la révolution, » élevé à Éton, et que vous nous montrez conduisant des tandems, et pariant pour Hybiscus ou Pomegranate, soit un Philopemen en face de son frère aîné, qui restera un Thersite ! Vous heurtez toutes les lois de la nature et de l’histoire. La même atmosphère et le même sol produiront des fruits dissemblables ! Jamais, en vérité, cela ne s’est vu, et depuis que le monde existe, demain a toujours été le fils d’aujourd’hui. Comme ruse politique et flatterie adressée en passant à une classe de jeunes hommes qui font flamboyer le premier élan de leurs désirs et de leur verve, cela n’est pas sans quelque adresse ; mais comme moyen politique, combien cela est impuissant ! Ces jeunes gens même, sublimes héros en face de leurs pères Thersites, ces Egremonts qui possèdent seuls le savoir, la force et la grandeur innée, à quoi les appelez-vous ? A la révolution, sans doute, aux armes, à la guerre ? Ainsi se dépensent volontiers la sève et le surcroît de vie ! Ainsi pourraient se régénérer et se retremper des races abâtardies et perdues de vices. C’est ce qui est arrivé en France, où plus d’un nom antique a reparu vigoureux, en sortant de l’orage et des troubles civils. Pas du tout. C’est pour éviter la révolution, c’est même contre une révolution possible que M. d’Israëli convoque le ban et l’arrière-ban de la jeune aristocratie. Il en fait une armée, mais une armée de sages. Il sonne la trompette, afin que tout reste bien tranquille. Il crée des héros à condition qu’ils ne serviront à rien. Sur ces têtes ardentes de Brutus, il ne met pas de casqué, mais le bonnet de coton du vieillard ; dans leur main point d’épée, mais la canne à pomme d’or. Cela est absurde et tout-à-fait sans conséquence.

On voit maintenant pourquoi les hommes politiques ne se sont pas