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Si le droit de visite est efficace, qu’on se borne à en supprimer les inconvéniens ; il doit cesser d’ailleurs tôt ou tard avec le mal qu’il réprime. S’il est inutile, s’il n’aboutit à aucun résultat qui en compense désavantages, on en doit opérer la suppression immédiate. C’est ce point de la question que nous voudrions surtout éclaircir. Nous rechercherons ce qu’était la traite avant l’interdiction du commerce des esclaves par l’Angleterre, et de quels maux elle était accompagnée, pour comparer ce qui se passait autrefois avec ce qui a lieu de nos jours. Il en résultera, nous le croyons, une triste conviction : c’est que tous les moyens adoptés par la philanthropie anglaise ont été impuissans, et que la traite se fait aujourd’hui sur une aussi grande échelle et avec les mêmes horreurs qu’autrefois. Examinant ensuite à part chacun des moyens successivement essayés par l’Angleterre, nous en apprécierons l’efficacité et les dangers ; nous rechercherons s’il y a un remède possible à la traite, et si ce trafic odieux ne sort pas de ses cendres ranimé par ceux mêmes qui prétendent aujourd’hui le détruire.

Le christianisme, en détruisant l’esclavage, avait détruit en même temps le commerce des esclaves dans tous les pays qui ressentaient sa bienfaisante influence ; un grand mouvement religieux, les croisades, fit de nouveau connaître aux peuples chrétiens des horreurs qu’ils commençaient à oublier. Le voisinage des musulmans familiarisa les Occidentaux avec l’esclavage, et les champions du Dieu de liberté eurent leurs esclaves comme les disciples du Koran ; bien plus, les Vénitiens, à la piste de tout ce qui pouvait augmenter leurs richesses, se firent les pourvoyeurs des ennemis de la foi, et, plus soucieux d’ajouter une nouvelle branche à leur commerce que de rester fidèles à l’Évangile, employèrent plus d’une fois à transporter des esclaves, de Tunis en Asie, les vaisseaux qui venaient de conduire des chrétiens à la délivrance du saint sépulcre. Les papes firent des efforts impuissans et employèrent inutilement les prières et les menaces pour détourner les Vénitiens de ce commerce infame. Du moins ce n’était pas pour le compte de chrétiens que Venise se livrait à ce trafic, et un esclave, même aux bords de l’Adriatique, était une singularité, quelque chose de contraire aux habitudes, aux idées, aux sympathies des populations. En Espagne et en Portugal il en fut autrement : des rapports séculaires avec les musulmans avaient familiarisé les chrétiens avec l’esclavage et avec l’odieux commerce qui en est la conséquence inévitable, puisque l’esclavage est frappé d’infécondité par la justice divine. Lorsque d’aventureux navigateurs se mirent à explorer les côtes de l’Afrique, l’un d’eux, Nuñez Tristan, en 1443, rebuté de ses