Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1033

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En ce moment, la chambre discute le projet de loi sur le régime colonial, déjà voté à la chambre des pairs. Nous ne reviendrons pas en détail sur cette question, qui a été l’objet d’un débat si approfondi au Luxembourg. Comme on pouvait s’y attendre, les discours philanthropiques abondent à la chambre des députés ; les réclamations en faveur des colons y sont mal accueillies : la prudence est suspecte ; la modération passe pour un jeu perfide. Si vous voulez qu’on vous écoute, n’allez point parler des grands intérêts qui se rattachent à la conservation de nos colonies ; ne parlez pas de notre navigation, de notre commerce, de notre puissance maritime : qu’est-ce que tout cela ? Des intérêts matériels. Voulez-vous être applaudi, parlez des intérêts moraux, de la liberté, de la grandeur de l’espèce humaine, des sentimens et des principes qui font la vie des peuples civilisés. A Dieu ne plaise que nous cherchions à ridiculiser cet enthousiasme ! M. de Tocqueville et M. Agénor de Gasparin sont de nobles esprits ; ils aiment les généralités, et ils savent quelquefois les rendre éloquentes : rien de mieux. Seulement, pourquoi ne s’aperçoivent-ils pas qu’ils prêchent des convertis ? Où sont les partisans de l’esclavage, les détracteurs de la nature humaine, les oppresseurs et les bourreaux ? M. Jollivet est donc un homme bien terrible ! Quant à nous, qui ne connaissons, grace à Dieu, ni colon, ni délégué, nous avions cru sincèrement que dans le temps où nous sommes, sous le gouvernement où nous vivons, il était permis, sans passer pour un barbare, d’exprimer des craintes sur les conséquences d’une émancipation trop prompte et peu réfléchie. Dans la société coloniale, nous avions cru voir des intérêts respectables, des principes qu’il est bon de ménager, jusqu’à ce qu’on puisse les remplacer par des principes meilleurs et d’une nature plus élevée. Le colon, jusqu’à présent, et tant que vous n’aurez pas établi un régime nouveau, est le représentant de l’autorité ; c’est le pouvoir. Si vous voulez conserver dans le cœur de l’esclave le sentiment de la règle et de la discipline, nécessaire à toute société organisée, ne détruisez pas brusquement, violemment, l’autorité morale du maître. Substituez l’affection à la crainte ; que les bienfaits de l’émancipation, au lieu de venir directement de la loi, passent des mains du maître dans celles de l’affranchi, afin de renouer par la reconnaissance et le respect des relations que la loi a rompues. Ainsi, vous préparerez la transition d’un régime à un autre, et vous éviterez les secousses. En un mot, jetez des fondemens solides avant de construire ; formez ces sentimens moraux dont vous parlez avant de rompre le dernier anneau de cette chaîne que nous voulons tous briser. Soyez prudens et justes, c’est la condition nécessaire d’une bonne loi sur l’émancipation. Vous ferez regretter l’esclavage, si vous ne faites pas aimer et estimer la liberté.

La chambre décidément est en veine de philanthropie. Pendant qu’elle émancipe les noirs des colonies, elle prend en considération un projet de dégrèvement sur le sel, proposé par M. Demesmay. M. Laplagne a défendu le trésor ; mais il n’a pu convaincre la chambre. La proposition sera donc