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permanente, et qui, plus d’une fois, a failli faire explosion. Il n’est pas surprenant que l’alliance anglaise ait existé d’autant moins qu’on la proclamait davantage. Les cabinets se faisaient, d’une tribune à l’autre, de tendres complimens ; les couronnes se visitaient, se rapprochaient, se donnaient toutes les marques possibles d’une mutuelle amitié, et pendant ce temps les deux peuples se regardaient d’un œil de défi et se traitaient partout en ennemis. Singulière anomalie, qui, si elle devait se prolonger, aurait à coup sûr, pour les intérêts même que l’on prétend défendre, les plus funestes conséquences.

Quand on y regarde de près, rien assurément n’annonce que cette situation ait changé. Néanmoins le temps a produit son effet naturel. Ainsi la France n’oublie pas, elle ne peut pas oublier qu’en 1840 sa confiance a été trahie, et que sans une raison sérieuse, sans un prétexte plausible, l’Angleterre, en s’unissant contre elle aux puissances continentales, l’a mise dans la cruelle alternative de risquer une guerre générale ou de subir patiemment une défaite. Elle se dit donc que ce qui est arrivé une première fois peut arriver une seconde, et elle se tient justement en garde contre une amitié si précaire et si fragile ; mais en même temps la France est sensée, et trouve bon qu’on entretienne avec l’Angleterre comme avec les autres puissances des relations pacifiques. La France pense même que si sur un point quelconque du globe l’occasion se présentait de faire, d’accord avec l’Angleterre, quelque grande et belle chose, il serait puéril de s’y refuser par colère ou par rancune. Quant au gouvernement, les échecs qu’il a éprouvés, les leçons qu’il a reçues, l’ont déterminé sinon à modifier sa politique, du moins à ne plus s’en vanter avec la même hardiesse, avec le même retentissement. C’est ainsi qu’à l’alliance intime, à l’entente cordiale, on a vu succéder, au moins dans le style officiel, la bonne intelligence, une intelligence fondée sur le respect mutuel des droits et des intérêts. Si en réalité la dissidence reste la même, elle n’éclate donc plus autant dans les termes, et l’on se trouve, bien qu’on ait des points de départ et des buts différeras, ramené à un langage presque commun. De la question de système le débat dès-lors se porte naturellement sur la question de conduite. Le gouvernement prétend que, dans ses rapports avec l’Angleterre, il y a partout et toujours équité et réciprocité. L’opposition maintient qu’il y a dépendance et subordination. Le gouvernement soutient en outre qu’entre les deux pays la bonne harmonie est rétablie. L’opposition affirme qu’elle ne l’est pas, et qu’aux conditions actuelles elle ne le sera jamais.

Voilà, si je ne me trompe, à quel point précis le débat en est venu.