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ainsi se forgeait, se rivait chaque année la chaîne qui, partant de Londres, venait aboutir à Paris. Grace à la persévérance parlementaire, cette chaîne paraît aujourd’hui brisée. Il faut s’en réjouir et veiller à ce qu’à l’aide de quelque clause ambiguë on ne parvienne pas à la refaire.

J’admets donc pour ma part que l’ancien traité soit aboli pour toujours, et que le nouveau ne rencontre aucune objection sérieuse. J’admets notamment que l’article 8 ne soit pas, comme on avait pu le croire, un abandon des vieux principes maritimes de la France. Puis, tout cela admis, je me demande à qui ce résultat doit être attribué et ce qu’il faut en conclure. On ne saurait le nier : si dans cette occasion, comme dans beaucoup d’autres, la chambre avait écouté, cru, ménagé le ministère, le droit de visite existerait encore et l’Angleterre n’aurait rien accordé. Selon le ministère, il y avait d’abord les plus graves dangers pour la bonne harmonie des deux pays, pour la paix du monde, à ne pas ratifier le traité de 1841. Selon le ministère ensuite, toute négociation pour l’abolition des traités de 1831 et de 1833 devait aboutir à une faiblesse ou à une folie. Malgré tout cela, la chambre, pour cette fois, a tenu bon, et contre son gré, avec une répugnance visible, après des protestations réitérées, le ministère s’est vu contraint de faire valoir les droits et les intérêts du pays. En est-il sorti, selon les prédictions de 1843, une faiblesse ou bien une folie ? Pas plus l’une que l’autre. Avec le bon sens qu’elle montre toujours quand on ne cède pas à tous ses caprices, quand on ne s’humilie pas devant toutes ses prétentions, l’Angleterre a compris qu’il y avait sur ce point en France un droit certain et une ferme volonté. Une fois cette conviction acquise, l’Angleterre a pris son parti et conclu le nouveau traité.

Encore une fois, je n’examinerai pas en ce moment la valeur de ce traité. Je le suppose bon et je dis qu’il semble venu tout exprès pour mieux faire ressortir, pour mieux faire apercevoir les infirmités, les erreurs habituelles de la politique ministérielle. Le cabinet, dit-on, prétend s’en glorifier comme d’un grand succès. Il faut distinguer. Quant à la question spéciale du droit de visite, il y a succès ; quant à la politique générale dont cette question n’est qu’un épisode, il y a quelque chose de pire qu’un échec, un démenti formel et positif. Je défie la politique dont il s’agit d’échapper au simple raisonnement que voici. Dix questions depuis 1840 se sont agitées entre la France et l’Angleterre, et, pour toutes ces questions, le même argument a