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Or, il y a beaucoup d’intérêt et de vivacité dans cette première partie du poème ; voilà bien l’éducation du poète tel qu’il va nous apparaître. Sa pensée s’ouvre à peine aux tristesses de la société moderne, et déjà on entend retentir au fond de cette ame si jeune tous les mugissemens de la tempête. M. Beck a eu raison de nous le dire : ne cherchons pas ici une poésie calme, sereine, et cette netteté qui est le vernis des maîtres ; non, c’est une inspiration impétueuse et violente. L’auteur ne débute pas par la prière, par l’amour, par l’espérance, comme font si gracieusement les ames encore toutes neuves ; sa prière, si c’en est une, est pleine d’emportement et de colère : c’est un ordre irrité, impatient. Cela est surtout exprimé dans la pièce principale du premier chant, dans les strophes qu’il intitule Promenade autour de Leipzig. Le poète a quitté la ville ; il a voulu se soustraire un instant aux vulgaires influences de la cité, aux réflexions maussades des philistins ; il court, libre et fier, par la campagne, mais quelle campagne bizarre ! Représentez-vous une toile sombre, un paysage noir, charbonné. L’orage gronde ; c’est l’ouverture de toutes les symphonies de M. Charles Beck. Chaque incident de la tempête lui rappelle l’humanité ; le sable est chassé par le vent comme un exilé qu’on poursuit ; cette forêt s’agite dans l’ouragan comme l’assemblée des peuples sous le souffle de Dieu. Ce n’est point assez ; il faut quelque chose de cabalistique : or, voici les éclairs qui tracent sur la voûte du ciel je ne sais quels signes éblouissans, indéchiffrables ; puis retentit la grande voix du tonnerre, qui épèle avec fracas le mystérieux grimoire. Avez-vous vu, parmi les paysages de Salvator, quelque toile diabolique où les rochers qui s’ébranlent, les arbres qui se brisent, toute la nature qui s’effarouche, semblent affecter vaguement des formes humaines au milieu de la tempête ? Tels sont les paysages de M. Beck. Mais pourquoi ce cadre terrible ? et que nous prépare le poète ? Je traduis les dernières strophes :


« Soudain, tous les arbres de la forêt semblent changés en soldats ; la caravane des nuages traîne sa lourde artillerie ; le brouillard, c’est la fumée de la poudre ; les vertes branches flottent comme des étendards.

« Puis la voix de la tempête jette l’ordre aux épais bataillons : En avant ! en avant ! au milieu de la mêlée ! au milieu de la bataille retentissante ! Et moi, sur l’échelle vacillante de l’orage, mon ame monte dans le vieux ciel de l’Allemagne.

« Elle veut demander à l’ancien dieu si tous ceux qui ont versé le sang de leur cœur, si tous ceux qui, sur la terre, ont porté leur croix, seront des bienheureux un jour et prendront place à sa droite.