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pas même, comme dans les Chants du Veilleur de nuit, le pèlerinage d’un poète politique cherchant des occasions pour sa verve chagrine. Malgré la mélancolie souvent aimable de M. Dingelstedt, malgré la distinction de son talent, on sent, et je l’ai dit l’année dernière, que l’auteur se laisse trop facilement aller à des colères préparées d’avance, à des invectives préméditées. Tel n’est pas le voyage de M. Charles Beck. L’aspect des lieux qu’il visite, le caractère de la contrée, les traits principaux des peuples qu’il interroge, se reproduisent habilement dans ses tableaux. Comme l’auteur rencontre assez de couleurs variées, assez de nuances éclatantes, assez de contrastes poétiques dans les lieux qu’il parcourt, il renonce à ces effets chimériques, à ce merveilleux apprêté qui offusquait trop souvent son imagination dans le poème des Nuits. Il est bon que les poètes voyagent ; ce commerce avec la nature et avec les mouvans tableaux des civilisations différentes a été profitable au disciple de Louis Boerne. Le souffle vivace des montagnes, les vents embaumés des prairies ont chassé les fantômes qui obsédaient son intelligence. Je ne sais quoi de frais et de naturel circule dans son imagination purifiée, et si la plainte s’exhale de ses chants, ce n’est pas cette mélancolie maladive qui énerve l’ame ; c’est une mâle tristesse qui rappelle plutôt les voyages de l’auteur des Jambes, les tableaux que M. Barbier traçait dans le Pianto et dans Lazare, quand M. Barbier donnait encore de beaux vers.

Le poète nous mène d’abord en Hongrie ; il va revoir le lieu où il est né, le pays qu’habitent ses frères. Il faut qu’il s’arrache à ses sombres pensées, à ses nuits sans sommeil. Vous voyez clairement le lien qui unit ce poème à celui que nous venons de lire. « Non, non, dit l’étudiant de Leipzig, je ne vivrai pas comme un moine, éternellement emprisonné dans ma cellule. J’entends au fond de mon cœur un carillon de cloches joyeuses qui me réveille et sonne pour moi l’heure du départ. » Voilà qui est bien dit ; j’aime beaucoup ce joyeux carillon, et je voudrais qu’il retentît de même chez tous les faiseurs d’élégies philosophiques, chez tous les sectaires ténébreux, surtout chez ces incorrigibles rêveurs qui ne peuvent s’éveiller à la lumière du monde moderne. Jamais on n’a eu plus besoin de cet appel sonore ; poètes politiques, romanciers socialistes, ultramontains de boudoir cru de sacristie, il faudrait pour eux tous que le bon sens, dès la matinée, sonnât ainsi la cloche, et que ce signal les fit descendre dans les rues de la ville, en face du soleil, au milieu du spectacle de la vie réelle. Lui, c’est vers sa terre natale qu’il s’en va gaiement. Son pays lui apparaît dans toute sa beauté ; il songe à la terre des Maghyares,