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siècle plein d’amour, regarde les œuvres fumantes de la haine. Regarde en frémissant le domaine de ton passé barbare, tout peuplé de spectres ! Regarde au fond de ces jours où la Pensée, ce chevalier hardi, était jetée par la Ruse au fond des cachots, où on lui coupait, comme à un moine, sa libre chevelure ! »


C’est l’archange qui parle ainsi, mais, encore une fois, il s’exprime avec moins de netteté, lorsque, cessant de maudire, il chante les jours qui viendront et la félicité des siècles meilleurs. Surtout le ton mystique ne convient guère, il faut le dire, aux réformes souvent vulgaires qu’il annonce. C’est le privilège des archanges de parler par métaphores, et, depuis saint Jean, la langue apocalyptique est l’idiome naturel de ces messagers de l’infini. Je ne demande pas mieux que le poète donne à l’ange du monde nouveau, s’il le peut, toute la sublimité mystérieuse de l’Apocalypse ; mais forcer cet idiome souverain à revêtir magnifiquement les médiocres idées de la polémique quotidienne, on conviendra vraiment que c’est le traiter avec trop d’irrévérence. Quand la prédication de M. Charles Beck n’est pas extrêmement vague et indécise, elle est commune et recourt aux plus vulgaires préceptes. Il est fort bien de recommander aux rois les fondations utiles, les hôpitaux, les asiles pour les pauvres ; rien de mieux sans doute, rien de plus humain, mais on ne voit pas qu’il fût nécessaire, pour arriver à ce grand résultat, d’appeler à son aide toutes les machines de la poésie épique et de convoquer avec fracas le ciel et la terre. Ces choses pouvaient se dire plus simplement ; sans parler debout sur une montagne, avec une robe de lumière et les cheveux flottans au vent, un écrivain modeste pouvait s’élever jusqu’à cette idée. Que l’ange conseille aux souverains de mieux rétribuer les arts et la science, c’est encore une pensée fort louable, mais ce détail de ménage vient assez mai à propos au milieu des prophéties enthousiastes. Je vois aussi qu’il leur enjoint de mettre des impôts sur le luxe, sur le jeu, sur la toilette des femmes ; tout cela est plus sage que poétique, et le contraste d’une forme si ambitieuse avec la simplicité si bourgeoise des idées impatiente continuellement le lecteur. La loi de Moïse était rédigée dans une forme plus populaire, et elle contient, M. Beck l’avouera, des règles plus importantes. Certes, le Sinaï du monde nouveau pouvait mieux inspirer un poète ardent, et je m’assure que l’archange des sociétés modernes trouverait, pour glorifier le présent et préparer l’avenir, des formules plus élevées, des commandemens plus sublimes.

M, Beck n’est pas de notre avis ; il se satisfait plus aisément ; quand