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ils se préoccupaient des projets de la France. Leur attitude n’indiquait d’ailleurs ni l’abattement, ni la terreur. Rien ne rappelait le honteux spectacle que l’Angleterre avait présenté soixante ans auparavant, lorsque tout le monde s’accordait à reconnaître que l’invasion de cinq ou six mille Français eût suffi pour y déterminer une contre-révolution. En présence de toutes les forces du premier consul, la nation britannique se disposait courageusement à faire face aux dangers qui la menaçaient, et quatre cent mille volontaires enrégimentés s’apprêtaient à seconder les efforts de l’armée et de la milice.

Pitt ne restait pas étranger à ce grand mouvement patriotique. Cessant de voir une sinécure dans sa dignité de gardien des cinq ports, il formait en cette qualité un corps de trois mille hommes, dont il eut même un moment la pensée de prendre le commandement direct ; il s’occupait avec activité des détails de l’organisation, et étonnait les officiers de l’armée par sa rapide intelligence des choses militaires. Ces fonctions, si nouvelles pour lui, ne l’absorbaient pas tout entier. Dans la chambre des communes, il prit une part active à toutes les discussions engagées sur les moyens de repousser l’ennemi. Il appuya les mesures proposées par les ministres, tout en faisant comprendre, dans un langage quelquefois hautain, qu’il ne les trouvait pas assez complètes, que le gouvernement n’avait pas à un assez haut degré le sentiment des périls publics, et n’y appliquait pas des remèdes assez vigoureux. Addington ayant présenté un plan pour le rétablissement de l’impôt du revenu aboli après le traité d’Amiens, Pitt proposa d’y introduire des adoucissemens qu’Addington repoussa d’abord avec vivacité, qu’il fit même rejeter par une majorité très considérable, et dont il finit, après un plus mûr examen, par demander lui-même et par obtenir l’adoption.

On se demandait généralement si le ministère serait en état de surmonter les difficultés de la situation. Il s’efforçait de faire preuve d’énergie, soit contre les ennemis du dedans dont, à Londres et à Dublin, il réprimait les complots et les tentatives d’insurrection par d’assez nombreuses exécutions capitales, soit contre ceux du dehors, en organisant la défense du territoire menacé ; mais on lui reprochait de ne pas porter dans ses mesures l’activité, la hardiesse, les grandes vues qui pouvaient en assurer l’efficacité, et sa popularité, déjà bien compromise, s’affaiblissait de plus en plus. Il essaya de se fortifier par l’adjonction de quelques nouveaux membres ; ces modifications insignifiantes n’eurent aucun effet sensible.