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trivialité ou pompeux jusqu’à l’emphase, il est faux ; ce sont les tristes contorsions d’un esprit qui s’efforce en vain d’atteindre le suave ou le grandiose. Et, ce qu’il y a de pis, le style ne cesse pas d’être à la hauteur des réflexions. Avec son goût de métaphores gigantesques, M. Belmontet fait tour à tour du sceptre un bâton de Dieu et une aiguille au cadran de l’histoire ; selon lui, le suicide est une banqueroute de l’ame, et l’argent est la vermine des peuples déchus ; plus loin, il est question des durillons du bonheur, et l’Angleterre, le peuple milord, est qualifiée à merveille dans ce vers :

O Rome des calculs, conquérante des sous !


On n’a pas plus de grace et plus de délicatesse de diction. Quant aux habitudes grammaticales de M. Belmontet, elles sont connues : chez lui, un instinct impatient s’appelle la nature qui veut être accomplie, un progrès politique est un effet à conquérir, et un dédain commun se transforme en mépris homogène. C’est l’impuissance d’écrire après l’impuissance de penser.

Il est un progrès pourtant dont nous féliciterons l’auteur des Nombres d’or ; son livre, cette fois, n’est plus suivi, comme l’étaient les précédens, des billets louangeurs et des accusés de réception mis à la petite poste par les gens polis. Peut-être M. Belmontet a-t-il compris que ces sortes de commentaires laudatifs pourraient avoir au besoin leur contre-partie piquante. Pour être complet, il faudrait donner les lettres adressées à la critique après les lettres reçues par le poète. Le ton en paraîtrait varié il y aurait le style de la veille et le style du lendemain, celui où il est parlé de gens sérieux qui sont « la providence des réputations poétiques, » et celui où il n’est plus question que de sbires et de bravi littéraires ; mais cela est bon pour le fatras des pièces justificatives.

Tel est, en somme, le bulletin de ces derniers mois. Pour quelques-uns, on l’a vu, les vers sont une distraction élégante, une sorte de dilettantisme raffiné d’esprit auquel ils s’appliquent avec grace ; pour d’autres, c’est une vocation malheureuse et voisine du ridicule. Mais, en tout cela, où trouver le représentant poétique des générations nouvelles ? où rencontrer le successeur, le frère puîné de ces maîtres à qui la France doit les Méditations et les Feuilles d’Automne ? Sa venue pourtant serait opportune, car sans lui les plus jeunes risquent de s’attarder dans une école vieillie ou de s’égarer dans les caprices individuels. Certes, le jour où on pourra le saluer et le reconnaître sera une fête pour la pensée, car la poésie est un aliment nécessaire aux grands peuples. Elle exprime et rend à l’ame ce que l’ame a de plus élevé et de plus délicat.


CHARLES LABITTE.