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mousse fine, que le docteur se garda bien de fouler avant d’en avoir examiné à la loupe quelques poignées ; il affirma même, car il était un peu las, que ce frais tapis lui semblait plus mielleux que le velours. Quant à moi, je craignais que le créole n’eût blessé ou tué peut-être ce noir marron qu’il avait chassé de son gîte ; mais il me rassura complètement.

— J’ai tiré à balle perdue, me répondit-il en riant. D’ailleurs, je voulais l’éloigner, lui et ses pareils, voilà tout ; il a d’autres repaires, croyez le, moins agréables peut-être que celui-ci, mais assez bons encore pour un nègre.

— Dieu veuille que, dans le cours de notre exploration au milieu de vos sévères montagnes, vous puissiez toujours nous loger aussi agréablement ! dit le docteur. Il semble que la nature ait préparé ces charmants asiles pour ceux que l’amour de la science entraîne loin des plaines habitées. Mais vous, Maurice, par quel hasard avez-vous découvert cette grotte ?

— Oh ! répondit celui-ci, quel est le créole des quartiers de Sainte-Rose et de Saint-Benoît qui ne l’a pas visitée en faisant des battues ? quel est le planteur de l’île qui n’a pas entendu parler de la grotte au Malgache ? Seulement, il y en a beaucoup qui ne savent pas pourquoi elle porte ce nom là. C’est une vieille histoire.

— Que rien, sans doute, ne vous empêche de nous raconter ?

— Rien, si ce n’est qu’après la course d’aujourd’hui vous avez peut-être besoin de sommeil ; demain nous aurons encore beaucoup à monter pour atteindre la région des mousses que vous voulez parcourir. Et puis, une histoire de noirs ne doit pas être bien intéressante pour vous !

Dans les excursions du genre de celle que nous venions d’entreprendre, le guide a d’ordinaire une assez haute idée de son importance : c’est lui qui dirige les mouvements de la troupe, tant qu’elle est en marche ; mais à la halte, il sent que sa position a changé. De bavard qu’il était, on le voit devenir taciturne ; les questions l’embarrassent, le mettent en défiance, jusqu’à ce que la plus légère marque d’égards de la part de ceux qui l’accompagnent lui rende son assurance habituelle. Pour vaincre la timidité de Maurice et l’engager à nous donner son récit, je lui offris d’excellents cigares de Manille en le priant de nous apprendre ce qu’il savait lui-même sur cette grotte où nous étions si commodément établis. Cette simple avance fit son effet ; il prit place entre le docteur et moi, et glissant un des cigares dans sa poche :

— Merci, monsieur, me dit-il ; je fumerai cela dimanche au village ;