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petits états dont le territoire sert sans cesse de point de rencontre à l’ambition de leurs voisins. L’incertitude de leur destinée toujours flottante est une suite de la tendance que manifestent les nations à régler leurs limites sur celles des races. Nous effacerions de notre mémoire le souvenir des faits historiques, qu’avec la seule connaissance des races et de leur gisement nous découvririons aisément sur la carte les points du globe sans cesse entamés par la guerre et les points intacts. Les pays où la race présente une surface considérable, uniforme, compacte, bien tranchée, ont été épargnés par le fléau, sauf les cas très rares d’invasion en masse. Au contraire, tous les endroits placés sur la transition d’une race à une autre ont subi ces guerres intermittentes qui déplacent indéfiniment l’existence nationale. Participant à la fois des deux types voisins dont ils réfléchissent la puissance, les habitans de ces petits états ont une nature hybride ; la mobilité de leur patrie est une suite de l’incertitude de leurs caractères. Si maintenant nous cherchons les parties du globe sur lesquelles la grande vitalité des chemins de fer devra s’établir, nous trouverons que ce sont précisément celles-là. La guerre, ayant été dans le passé le seul moyen de communication, nous dessine la trace que l’influence de la vapeur doit parcourir. Ces petits états intermédiaires, si souvent sillonnés par les boulets, et dont l’importance est philosophiquement très grande, ont été les premiers à se couvrir de voies de communication perfectionnées. Terrains d’assimilation de deux races, la Belgique, par exemple, la Bohême, la Hongrie, nous semblent destinées à devenir, par l’établissement des chemins de fer et des canaux, les points d’attache de l’unité européenne. Grace aux nombreux rapports des races qu’elle confine, la nationalité de ces petits états se fixera d’elle-même lorsqu’un des deux élémens de leur population mêlée arrivera à prédominer sur l’autre. Il ne sera besoin pour cela ni de l’emploi de la force brutale, ni de ces interminables guerres de partage, qui, en déplaçant, de siècle en siècle, la borne des grands royaumes, changent et déclassent arbitrairement les destinées de leurs voisins. Quand l’esprit et le sang d’un peuple pénètrent dans un rameau allié, ce dernier rentre naturellement dans les limites de la race dont il finit par revêtir les caractères. L’évènement qui doit le réunir arrive tôt ou tard, mais il arrive. Les forteresses, les lignes défensives, les ouvrages et les barrières élevés par la main des gouvernemens n’y peuvent rien ; l’opinion et l’instinct de la nature les renversent. On a dit que les chemins de fer étaient des voies stratégiques ;